Tunisie (ALECA) : Michaela Dodini recentre l’Accord de Libre-Echanges Complet et Approfondi avec l’UE

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Tunisie (ALECA) – Dans le cadre d’une table ronde organisée, samedi 13 décembre 2014 à la Bibliothèque Nationale de Tunis, sur le thème « Le Droit Tunisien de l’Investissement, État des Lieux et Perspectives ». Après avoir félicité les organisateurs pour cette initiative, Madame Michaela Dodini, vice-ambassadrice de l’UE à la Délégation de Tunis, responsable de la section commerciale a traité le sujet de « l’Accord de Libre-Echanges Complet et Approfondi » (ALECA) entre la Tunisie et l’Union Européenne, en ces termes :

  • Tunisie-Projet du Code d'investissement-Accord de Libre-Echanges Complet et Approfondi-ALECA-avec l'UERappelons tout d’abord que cette initiative revient à l’Université « Tunis El Manar, Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis », en collaboration avec le DRIMAN (le laboratoire des Droits des Relations Internationales des Marchés et des Négociations), et ce, avec le soutien de la Délégation de l’Union Européenne à Tunis.

Michaela Dodini (UE) : « l’Accord de libre-échange Tuniso-Européen (ou ALECA) permettra aussi à la Tunisie une intégration progressive et profitable dans le marché intérieur de l’Union Européenne avec ses 500 millions de consommateurs »

« J’aimerais tout d’abord, vous présenter une perspective économique et historique des relations d’investissement entre l’UE et la Tunisie, et vous expliquer qu’il serait intéressant a l’heure actuelle de renforcer ces relations, et cela notamment par la négociation de ce que nous appelons ALECA, qui devrait comporter un chapitre spécifique dédié à l’investissement.

Actuellement, et cela je crois est sans surprises pour vous, l’UE composée par ces 28 états membres est le premier investisseur étranger en Tunisie. Les 2952 entreprises européennes représentent 93% des investisseurs étrangers et 48% du stock FDI total investi.

« L’Accord d’Association (AA) qui date de presque 20 ans, a déjà permis de renforcer la confiance des investisseurs européens »

D’un point de vue historique, comme vous le savez sans doute, en 1995, il y a de cela presque 20 ans, la Tunisie et l’UE ont conclu un accord de libre-échange – ce que nous appelons l’Accord d’Association. Cet accord a conduit au démantèlement des droits de douanes des deux côtés et donc a permis la libre circulation des produits industriels. L’Accord d’association est venu se greffer sur une série d’accords précédents conclus d’abord entre la Tunisie et certains des pays membres de l’UE, et ensuite entre la Tunisie et l’Union européenne dans son ensemble. Pour ne pas parler de l’histoire millénaire de nos relations commerciales et d’investissement !

Les chiffres et statistiques montrent une évolution très positive du commerce bilatéral et des IDE européens à destination de la Tunisie après la conclusion de l’Accord d’association. Cela nous fait conclure que l’AA a permis de renforcer la confiance des investisseurs européens quant à la pérennité de notre ouverture réciproque.
Grace à l’AA comme je viens de le dire, les produits manufacturés peuvent circuler librement dans les deux sens, et cela a boosté les IDE européens dans l’industrie. Les IDE européens sont passés de 400M DT en 2001 à 1.5 milliards DT en 2012, avec 2.5 milliards DT en 2008.
Pour ce qui est des aspects juridiques de protection et garantie, les investissements européens on été couverts par les traités bilatéraux d’investissement que la Tunisie a conclu avec 20 états membres de l’UE.

IDE européen en Tunisie-600IDE européen en Tunisie« Compte tenu de la crise financière globale, la crise économique en Europe et la révolution en Tunisie, les volumes des IDE européens envers la Tunisie ont baissé depuis le pic enregistré en 2008 »

Ensuite il y a eu la crise financière globale, la crise économique en Europe, et la révolution en Tunisie. Les volumes des IDE européens envers la Tunisie ont ainsi baissé depuis le pic enregistré en 2008. En 2013 ils ont été de l’ordre de 1029 millions de dinars – soit 446 millions d’euros- ce qui est relativement peu si on considère que la coopération du budget européen pour la Tunisie en 2014 a été de 200 millions d’euros en dons, auquel il faut ajouter 300 millions d’euros de prêts concessionnels pour l’assistance macro financière, et 570 millions d’euros de prêts d’investissement de la part de la BEI (le président de la BEI a par ailleurs visité la Tunisie tout juste la semaine dernière et a annoncé que les niveaux d’investissements de la BEI en Tunisie resteront élevés).

La Tunisie a clairement besoin d’accroitre l’investissement privé

La Tunisie bénéficie d’un apport important de la communauté internationale, mais pour s’assurer une croissance durable et plus élevée, elle a clairement besoin d’accroitre l’investissement privé, aussi bien national qu’étranger. Comme vous le savez, une réflexion a été engagée sur le modèle économique de la Tunisie pour l’avenir, et un élément clé de la réflexion est comment améliorer la qualité de la participation de la Tunisie dans les chaines de valeur européennes et mondiales, pour que plus de valeur ajoutée et plus d’emploi soient générés en Tunisie. Et cela passe aussi par plus d’investissement étranger et du transfert de technologie et savoir-faire.

Il est aussi impératif pour l’Europe de rehausser sa compétitivité, de produire mieux à moins cher, et ainsi, de profiter des compétences et ressources humaines abondantes dans son voisinage

 De l’autre côté de la méditerranée, l’Europe est aussi dans le besoin de rehausser sa compétitivité, de produire mieux à moins cher, de profiter des compétences et ressources humaines abondantes dans son voisinage – c’est toute la discussion autour de la localisation, non seulement pour la production de biens physiques, mais de plus en plus pour la création de services, de recherche et d’innovation. Face à nos besoins respectifs, l’enjeu est comment booster davantage les flux de commerce et d’investissement dans les deux sens Europe-Tunisie, au profit de chaque partie, et en tenant compte évidement des sensibilités de chacun.

C’est tout cela le sens de l’ALECA que nous avons proposé à la Tunisie : la perspective d’une intégration progressive dans le marché intérieur de l’UE avec ses 500 millions de consommateurs. Pour rappel, l’Union Européenne reste la première puissance commerciale, et la première source et destination d’investissements directs étrangers, et tout cela à une heure de vol de la Tunisie !

 « Nous sommes convaincus que la conclusion d’un ALECA pourrait contribuer à rendre la Tunisie davantage attractive pour les investisseurs européens, mais aussi pour les investisseurs tunisiens eux-mêmes ».Tunisie-UE - ALECA - Tunisie-Tribune

D’un côté, nous avons proposé que l’ALECA contienne un chapitre entièrement dédié à l’investissement, avec deux éléments principaux à savoir : l’amélioration de l’accès au marché, pour que les investisseurs soient traités comme les investisseurs locaux (notamment dans les services qui demeurent relativement fermés en Tunisie). D’un autre côté– l’amélioration du niveau et des mécanismes de protection des investisseurs des deux côtés.

Alignement progressif de plusieurs piliers de l’environnement règlementaire économique à la législation européenne

Je vais revenir à la protection de l’investissement, mais avant cela je voudrais aussi dire que l’ALECA prévoit également l’alignement progressif de plusieurs piliers de l’environnement règlementaire économique à la législation européenne.

Dans l’ALECA nous avons proposé que, quand la Tunisie y trouvera un intérêt, elle pourra choisir de se rapprocher a l’acquis communautaire dans des domaines tels la propriété intellectuelle, la politique de la concurrence, mais aussi les normes et les standards techniques, les mesures sanitaires et phytosanitaire. Ce rapprochement se fera sur base des priorités choisies par la Tunisie, et permettra aux produits de mieux circuler dans les deux sens, sans barrières non tarifaires. Le rapprochement réglementaire permettra aussi aux investisseurs européens de retrouver en Tunisie un climat d’affaires et des règles d’investissements comparables ou proches de celles en vigueur à l’UE, ce qui devra les encourager à investir davantage.

Je tiens aussi à dire qu’à part la proposition de négocier un ALECA, l’Union européenne a engagé depuis de nombreuses années un vaste spectre d’activités de coopération financière et technique en faveur de l’amélioration du climat des affaires en Tunisie, y compris à travers le renforcement des capacités des institutions tunisiennes responsables des questions économiques.

Négociations, garanties et protection de l’investissement

Pour en venir enfin au thème des garanties et de la protection de l’investissement, je pense que tout le monde est d’accord sur le fait qu’un investisseur, avant de s’engager sur le long terme dans un pays autre que le sien, a besoin d’être sûr qu’il sera traité équitablement, et que les pouvoirs publics respecteront certains principes fondamentaux de traitement dont il pourra se prévaloir.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, jusqu’à ce moment la protection des investisseurs européens en Tunisie, y compris l’éventuel recours au règlement des différends entre investisseurs et États, a été assurée par les 20 accords d’investissement bilatéraux conclus entre la Tunisie et les états membres de l’UE. Il y a donc 8 pays de l’UE qui n’ont pas conclu des accords bilatéraux avec la Tunisie.

  • Depuis le traité de Lisbonne de 2009, la commission européenne que je représente est responsable de la négociation des accords sur l’investissement avec nos partenaires au-delà de l’Europe. On négocie cela soit dans le cadre d’une négociation commerciale plus vaste, comme nous avons proposé à la Tunisie avec l’ALECA, soit de façon autonome.
  • L’objectif d’inclure des dispositions sur la protection des investissements dans un accord européen est de garantir que les investisseurs étrangers soient traités équitablement, tout comme les investisseurs locaux, et que cela s’applique à tous les investisseurs des 28 états membres de l’UE, et réciproquement à tout investissement réalisé par des étrangers partout en Europe.

Pour ce qui est plus spécifiquement du règlement des différends entre investisseurs et états (RDIE) : les problèmes que les investisseurs étrangers rencontrent ne peuvent pas toujours être résolus par des tribunaux locaux. Les problèmes sont rares mais peuvent être dramatiques : par exemple les investisseurs peuvent subir une expropriation directe, forcée et sans compensation par l’état hôte, ils peuvent être discriminés, ne pas jouir d’une procédure équitable dans les tribunaux locaux, ou peuvent subir des restrictions au mouvement des capitaux ou la retrait de leur licences.

Dans ces cas-là, le règlement des différends entre investisseurs et états met à disposition un forum pour résoudre les problèmes. La protection de l’investissement et le système RDIE ne sont pas nouveaux – les pays UE ont conclu depuis les années 1950 quelques 1400 traités de protection de l’investissement, avec des dispositions en grande partie similaires au RDIE et qui ont généralement bien fonctionné.

Mais il y a eu aussi des cas contradictoires, et c’est pour cela que comme vous le savez certainement le sujet RDIE dans le futur accord transatlantique est un sujet contesté. Il y a eu beaucoup d’incompréhensions, de polémiques, et aussi de l’instrumentalisation du dossier pour des raisons politiques nationales.Tunisie-Projet du Code d'investissement-Accord de Libre-Echanges Complet et Approfondi-ALECA-avec l'UE-600

Position de la commission européenne sur les objectifs poursuivis

Tout en laissant à Mademoiselle Rym Ben Khelifa, ici présente, le soin de  développer les arguments « en faveur » et « contre » ce type de mécanisme,  je voudrais clarifier, de mon côté, la position de la commission européenne sur les objectifs poursuivis avec l’inclusion de clauses RDIE dans nos accords.

Sur la base des enseignements tirés dans l’application des traités d’investissement en vigueur et du fonctionnement du mécanisme actuel d’arbitrage, ce que nous nous proposons de faire est d’améliorer le système tel qu’il existe actuellement, combler les lacunes qui sont apparues et tenir compte des préoccupations légitimes exprimées. Plus spécifiquement, la Commission européenne est déterminée àrenforcer l’équilibre entre le droit des étatsàrèglementerdans l’intérêt de la société, et la nécessité de protéger les investisseurs.

La Commission propose à cette fin deux groupes de mesures :

  • – Premièrement, nous pensons qu’il est nécessaire de clarifier et améliorer les règles relatives à la protection des investissements : en particulier nous tenons à affirmer explicitement le droit des états de réglementer dans l’intérêt public, à définir plus clairement qu’est-ce que c’est une expropriation indirecte, à définir plus clairement qu’est-ce que nous entendons par traitement juste et équitable (actuellement les tribunaux ont une vaste marge et discrétion pour interpréter ces concepts). Il n’est nullement question de soustraire les investisseurs étrangers à l’application des lois du pays hôte, cela ne serait pas de notre intérêt.
  • – Deuxièmement, nous tenons à améliorer le fonctionnement du système de règlements des différends investisseur-état lui-même: nous pensons qu’il est nécessaire de prévenir le risque d’utilisation abusive du système, de le rendre plus transparent, de prévenir le conflit d’intérêt où la partialité des arbitres, d’introduire davantage de contrôle par les parties dans l’interprétation des dispositions etc.

L’accord conclu avec le Canada est le premier accord conclu par l’UE, avec un chapitre sur l’investissement

L’UE voudrait introduire ces éléments dans nos futurs accords commerciaux. Le premier accord qui a été conclu avec un chapitre sur l’investissement en ces termes est celui qui a été conclu avec le Canada. A part les accords bilatéraux, nous sommes aussi actifs au niveau multilatéral dans la CNUDCI, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, où nous demandons que les standards qui sont appliqués deviennent plus clairs et soient améliorés, que les procédures soient transparentes, et les arbitres soient indépendants. L’UE propose aussi le règlement pacifique des litiges et le recours aux tribunaux nationaux avant de faire recours au RDIE, afin d’assurer une résolution plus efficace, rapide et moins couteuse.

Devant la mobilisation de la société civile européenne, la Commission européenne a tenu une consultation publique ouverte

La société civile européenne reste très mobilisée en la matière, et en toute réponse la Commission européenne a tenu une consultation publique ouverte lancée en mars 2014 pour mieux appréhender les soucis exprimés, en tenir compte pendant les négociations, mais aussi dissiper les malentendus et incompréhensions. Le rapport et les réponses à la consultation sont en phase de finalisation et devraient être rendus disponibles en ce mois de décembre.