ARTICLE 19 : « La lutte antiterroriste ne devrait pas restreindre la liberté d’expression et le droit à la vie privée »

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ARTICLE 19 exprime sa profonde préoccupation à propos de la dernière version du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et l’interdiction du blanchiment d’argent en Tunisie, particulièrement en ce qui concerne des dispositions susceptibles de restreindre fortement la liberté de la presse de couvrir l’actualité politique, notamment l’action des autorités en matière de lutte contre le terrorisme.

ARTICLE 19 appelle à une révision du projet de loi avant son examen en séance plénière par l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Dans son analyse juridique du projet de loi, ARTICLE 19 suggère une série d’amendements qui contribueraient à mettre la loi en conformité avec la constitution tunisienne et les normes internationales relatives à la liberté d’expression et le droit à l’information.

« La lutte contre le terrorisme en Tunisie ne peut porter atteinte à l’expérience démocratique que connait le pays, laquelle se base principalement sur la liberté d’expression, l’un des acquis les plus importants des Tunisiens après la révolution », a dit Saloua Ghazouani, directrice du bureau d’ARTICLE 19 en Tunisie.

ARTICLE 19 considère que les infractions relatives à l’incitation à commettre des actes de terrorisme ne devraient viser que les comportements dont l’intention est de provoquer des actes de violence et qui sont directement susceptibles de produire de telles conséquences. Si elle n’est pas amendée en ce sens, la loi (article 5) pourrait être utilisée pour réprimer des expressions légitimes. ARTICLE 19 invite également le législateur à mettre en place d’autres moyens que la loi pénale, telle que des mesures administratives ou civiles, pour lutter contre les messages d’incitation à la violence ou au terrorisme.

ARTICLE 19 s’inquiète de l’existence, à l’article 30, d’une infraction d’apologie du terrorisme définie de façon large. L’ambigüité de cette terminologie autorise des interprétations hautement subjectives qui pourraient se traduire en pressions inacceptables sur les médias et les journalistes lors de la couverture d’évènements d’actualité en rapport avec des activités terroristes présumées ou avec l’attitude des autorités à l’égard de ces activités, voire lors de diffusion d’opinions critiques à l’égard de la politique gouvernementale.

La sécurité nationale doit être protégée de manière compatible avec le droit à l’information et la liberté d’opinion. ARTICLE 19 rappelle que les principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale et la liberté d’expression et l’accès à l’information précisent que « l’expression ne peut pas être empêchée ou punie simplement parce qu’elle transmet une information provenant ou à propos d’une organisation qu’un gouvernement a déclaré menaçante pour la sécurité nationale ou pour toute autre raison ayant un lien avec la sûreté nationale » (principe n° 8).

ARTICLE 19 met en garde contre les menaces que font peser les articles 35 et 36 sur le droit des journalistes à protéger la confidentialité de leurs sources. Il s’agit d’un élément fondamental du droit à la liberté de rechercher et de diffuser des informations. La loi devrait être amendée pour prévoir que le secret des sources ne peut être renversé que par une décision d’un tribunal et uniquement dans les cas où un intérêt public prépondérant l’exige.

De même, ARTICLE 19 exprime sa crainte quant à l’utilisation des dispositions de la 5ème partie du projet de loi relatives à « l’utilisation de techniques d’investigation particulières» à l’égard de la presse et des journalistes. En effet, dans la mesure où le projet de loi définit certaines infractions terroristes de manière très large, il est à craindre que la loi autorise l’utilisation de techniques particulières d’enquête pour surveiller les médias et porter ainsi atteinte à la liberté d’expression et au droit au respect de la vie privée.

ARTICLE 19 souligne que toute restriction de la liberté d’expression ou du droit à la protection de la vie privée, ne devrait être autorisée que par une autorité judiciaire et dans le cadre du respect total des principes du droit international relatifs à la légalité, à la légitimité de l’objectif poursuivi par la mesure de restriction, et à la proportionnalité de la mesure de restriction au regard de l’objectif poursuivi.

Le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent a été approuvé par le conseil des ministres le 25 mars 2015 et fait actuellement l’objet de discussions au sein d’une commission parlementaire commune créée en avril 2015 au sein de l’ARP, avant l’examen du projet de loi en séance plénière.

Pour lire l’analyse d’ARTICLE 19 relative au projet de loi relatif à la lutte anti-terroriste et le blanchiment d’argent, veuillez consulter ce lien