Tunisie-Tribune (Président de l’AESAT) – depuis quelque temps, le nombre d’étudiants subsahariens en Tunisie ne cesse de se rétrécir comme une peau de chagrin. De 12 mille en 2010, ils sont passés à 4 mille lors de la rentrée 2016-2017.
Conscient de ce phénomène, et dans le but de promouvoir la destination Tunisie en matière d’enseignement supérieur et de formation professionnelle pour les étudiants et stagiaires africains, Tunisia-Africa Business Council-TABC organise la 1ère édition du « Tunisian African Empowerment Forum » les 22 et 23 août 2017 au palais des congrès de Tunis. L’objectif étant de relancer la Tunisie en tant que destination de choix pour nos amis africains dans le domaine de l’enseignement et la formation ainsi que la consolidation des efforts du gouvernement, de la société civile, des universités et centres de formation.
Mais quelles sont les véritables raisons de ce désintérêt subit des étudiants subsahariens pour la Tunisie? Comment redorer le blason de la Tunisie?
Pour répondre à toutes ces interrogations, nous avons reçu le président en exercice de l’AESAT (Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie), en l’occurrence M. Mack Arthur Deongane Yopasho. A 29 ans, ce Centrafricain en master 2 recherche en Gestion des Organisations à l’UMLT nous révèle ce parcours du combattant auquel sont confrontés les étudiants.
Espace Manager : Nombre d’étudiants d’Afrique subsaharienne viennent faire leurs études supérieures dans les universités tunisiennes (privées dans l’extrême majorité des cas). Qu’est-ce qui explique cet engouement? Combien d’étudiants et combien de nationalités sont-ils au total?
Mack Arthur Deongane Yopasho : C’est d’abord la communication du bouche à oreille, ensuite pour intégrer les universités publiques, cela rentre dans le cadre de la coopération bilatérale entre la Tunisie et ses Pays confrères, ce qui se fait à travers un quota bien déterminé par Pays. Or tout le monde ne peut pas bénéficier de ces bourses de coopération, ce qui pousse les parents à inscrire leurs enfants dans les Universités privées pour la majorité. Enfin, les infrastructures et la qualité également de l’enseignement expliquent cet engouement. Aujourd’hui, nous sommes environ 4500 étudiants et stagiaires repartis entre plus de 25 nationalités affiliées à l’AESAT.
Selon certaines sources, le nombre d’étudiants a chuté progressivement passant de 12 mille en 2010 à quelque 4 mille en 2016-2017. Certains auraient jeté leur dévolu sur le Maroc qui profite bien en ce moment de cette aubaine?
Affirmatif ! Le nombre d’étudiants et stagiaires d’Afrique Subsaharienne a considérablement baissé au cours de ces 7 dernières années. Certains étudiants et stagiaires ont choisi le Maroc comme nouvelle destination d’études, tout simplement parce que la durée de la carte de séjour minimum est de 2 ans alors qu’en Tunisie avoir la carte de séjour est similaire à une demande de visa pour la France. Suite à cette politique mise en place par le Maroc, ce dernier a vu le nombre de ses étudiants en hausse.
Ce désintérêt pour la Tunisie s’expliquerait selon certains par le calvaire que vivent les étudiants subsahariens. Ces derniers étant confrontés à des difficultés de toutes sortes: problème de carte séjour, pénalités, des arnaques, des expulsions arbitraires… Qu’en est-il réellement?
Aujourd’hui, tout le monde sait que le cauchemar des étudiants et Stagiaires est le problème des cartes de séjour. Il existe un flou juridique énorme, puisque la Loi qui régit la condition de séjour est celle de 1968 qui n’a pas du tout été amendée pour être adaptée à la réalité d’aujourd’hui (un anachronisme).
Conséquences: Arnaque dans les postes de police: dans certains commissariats bien connus de la capitale, on exige des étudiants et stagiaires des sommes exorbitantes en guise de pénalités). Ajouté à ce grand chapitre de la « CARTE DE SEJOUR », l’irresponsabilité des bailleurs qui refusent parfois de délivrer le contrat de bail, la lourdeur et la lenteur administrative, le long silence des autorités compétentes (police des frontières du 18 janvier) face au refus des dossiers dont les concernés ne sont même pas informés. Toutes ces problèmes (un véritable cercle vicieux) font que l’étudiant ou stagiaire tombe dans les pénalités et est exposé à un rapatriement suite à un contrôle de la police.
A ces problèmes administratifs, il semble que les étudiants subsahariens sont victimes de racisme et d’agressions physiques et même sexuelles..!
Le racisme est d’abord universel, ensuite même entre Tunisiens ce phénomène existe avant d’arriver sur les étudiants et stagiaires de couleur. Ceci étant, c’est un sujet tabou en Tunisie qu’il faut aborder en profondeur pour que les mentalités tunisiennes puissent changer. Souvent les étudiants souffrent dans certains quartiers où ils sont exposés à toutes sortes d’injures ou dans les transports en commun.
Mais, il y a un phénomène nouveau qui commence à prendre de l’ampleur en Tunisie, c’est l’agression physique et, dans quelques cas, sexuelle. Depuis l’agression de trois étudiants Congolais (RDC) le 24 Décembre 2016, l’AESAT ne cesse d’enregistrer ces cas jusqu’à l’heure où je vous parle une fille Congolaise parmi 4 autres vient d’être violemment agressée et qui a eu une double fracture au niveau de son bras par un groupe de dix Tunisiens. Et parallèlement, un ancien Président de l’AESAT vient lui aussi d’être poignardé par un adolescent devant une boutique. C’est pour dire que l’insécurité devient grandissante pour les étudiants et stagiaires noirs en Tunisie et il faut que l’Etat puisse prendre cela en considération.
Vous avez été reçu (en qualité de président de l’AESAT) par les autorités tunisiennes auxquelles vous avez soumis vos doléances. Qu’attendez-vous concrètement des autorités face à cette situation?
Effectivement le 27 juillet 2017, j’ai été reçu en audience demandée par le Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile sous l’initiative de notre partenaire TABC. Nous attendons clairement une décision annulant les pénalités pour les étudiants, stagiaires et ceux qui ne le sont pas dans un premier temps (il faut remettre le compteur à zéro pour une bonne base), ensuite revoir à la baisse les frais de quittance (timbre fiscal qui passe subitement de 75 à 300 dinars aujourd’hui) et des pénalités (20 dinars la semaine et 80 dinars le mois).
Il faut aussi délivrer les cartes de séjour pour deux ans et accélérer la procédure de délivrance à l’intéressé (e); assurer une couverture sociale pour tous les étudiants et stagiaires dans les facultés privées; adopter la Loi contre la discrimination raciale comme promis par le chef du Gouvernement dans les mois passés.
Nous souhaitons que nos doléances soient prises en considération car il y va dans l’intérêt de la Tunisie de redorer son image et son positionnement en tant que pole de l’enseignement supérieur en Afrique et je crois personnellement à la volonté du Ministre ainsi que de nos partenaires dont TABC et tous ceux qui sont conscients que les étudiants d’aujourd’hui seront les futurs ambassadeurs de la Tunisie dans leurs Pays respectifs. Nous souhaitons aussi de la flexibilité sur le marché de l’emploi. La Tunisie peut bénéficier de la compétence des étudiants et Stagiaires formés par elle.
Dans le but de redorer le blason de la Tunisie et promouvoir l’enseignement supérieur et la formation professionnelle pour les étudiants et stagiaires africains, Tunisia-Africa Business Council (TABC) organise les 22 et 23 août à Tunis, la 1ère édition du « Tunisian African Empowerment Forum ». L’objectif est de relancer la Tunisie en tant que destination de choix en s’attaquant à la racine du mal afin de trouver de meilleures solutions propices au retour de ces étudiants. Qu’en pensez-vous? Et qu’attendez-vous de cette initiative ?
Je pense déjà que c’est une très belle initiative à féliciter, saluer et à encourager puisque l’un des objectifs à la 1ère édition de ce forum est d’apporter une solution aux problèmes rencontrés par les étudiants dont principalement les cartes de séjour et pénalités (la condition sine qua non) pour retrouver le nombre d’étudiants perdu et pourquoi pas faire plus.
Aujourd’hui, la Tunisie est réputée par la qualité de sa formation, tout le monde sait que ce pays a beaucoup misé sur les ressources humaines, ce qui a été initié par le feu Président Habib Bourguiba. TABC peut relever ce défi, ce que nous attendons de ce forum c’est son succès conditionné par un réel changement de condition de séjour des Etudiants et Stagiaires Africains vivant dans ce beau Pays.
C’est juste une volonté politique pour atteindre cet objectif. Nous voulons vraiment que la rentrée prochaine soit dans les meilleures conditions, avec les grandes décisions qui seront prises inchallah par les autorités et vous verrez que l’objectif sera atteint.
N’oublions pas qu’une fois de plus, les Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie sont les vitrines de cette dernière dans leurs pays, et que la communication du bouche à oreille est vraiment efficace. Ceci étant, si ces derniers ont une bonne image de la Tunisie, cela garantit la bonne relation de la Tunisie avec ses Pays frères d’Afrique. Par contre, si la situation ne change pas maintenant, le nombre va continuer à baisser et ce sera un vrai danger pour la Tunisie dans les années à venir. Donc nous comptons sur les autorités pour vraiment réagir vite afin d’y remédier. Je vous remercie !