Tunisie-Tribune (Tribune libre de Synda Tajine) – Les festivités de la fête nationale de la femme obligent… tous les points de vue sur le traitement du dossier de la quote-part de l’héritage au féminin sont à prendre en considération.
En effet, dans une tribune publiée, ce mardi 15 août 2017, sur les colonnes de Businessnews, notre collègue et amie Synda Tajine vient de montrer que sa clairvoyance, sa vision et son pragmatisme n’ont pas été, ni émaillés ni ramollis, par la canicule de ces derniers jours et qu’elle sait nager à contre-courant face à la « théâtralité » des politiques. Nous publions ci-après l’intégralité de sa tribune :
« …On ne peut évoquer l’actualité de la semaine sans revenir sur le discours présidentiel du 13 août. Béji Caïd Essebsi a annoncé des mesures «phares», dit-on, qui ont été commentées, critiquées et applaudies, de long en large, sur la toile et dans les médias, depuis dimanche. Entre «blasphème» et véritable «coup de génie », personne n’est resté de marbre.
En réalité, rien n’a changé pour l’instant, puisqu’il s’agit encore de «suggérer» et de «créer une commission pour étudier la faisabilité». Mais ce pavé jeté dans la marre a eu le mérite de susciter un véritable débat sur une question qui fait peur.
L’égalité de l’héritage. Donner à la femme le droit d’hériter au même titre que l’homme. Si ces mots vous font froid dans le dos et vous donnent des cauchemars la nuit, c’est que vous faites partie de ces Tunisiens encore attachés à une vision traditionnelle et patriarcale du pays. Celle qui veut que les femmes restent «bien à leur place» afin que les hommes puissent encore trouver quelque chose à contrôler et à conquérir. Si la femme n’a plus besoin de l’homme et n’est plus cet être fragile qu’il devra sauver, que lui reste-t-il à faire ? En quoi sera-t-il un être dominant et indispensable ? Mais les femmes aussi ont été offusquées par cette nouvelle.
Les femmes sont aujourd’hui coincées dans une époque aux pourtours flous et indéfinis. Avant, chacun était parfaitement à sa place. Quand il n’y avait pas à manger ou que les enfants pleuraient, on blâmait la femme, quand le frigo était vide et qu’il n’y avait pas assez d’argent, l’homme était responsable. C’était très clair comme ça et personne n’avait à y redire. Beaucoup de gens souhaitent que les choses restent comme ça et le changement fait autant peur aux hommes qu’aux femmes.
Aujourd’hui encore, si la société patriarcale consent à la femme certains droits, elle veut cependant qu’elle reste cet être fragile encore dépendant d’un homme. On peut être offusqué de voir une femme se lever contre ses droits, «les femmes sont les pires ennemies des femmes», dit-on. Mais ces femmes restent attachées à un certain confort. Si la femme venait à hériter la même chose qu’un homme, elle devra aussi contribuer autant que lui dans toutes les dépenses de son foyer.
Elle ne pourra plus bénéficier de discrimination positive et elle devra renoncer, à jamais et pour toujours, à son doux confort. Certaines y tiennent absolument ! Certains tiennent à ne pas faire la queue, parce que ce sont des femmes, à ne pas venir à l’heure au travail, parce que ce sont des femmes, à ne pas payer parce que ce sont des femmes et de ce fait, à hériter la moitié de la part d’un homme…parce que ce sont des femmes après tout.
«Nous sommes désormais deux Tunisies. Il ne faut plus se leurrer», a écrit le sage Yassine Ayari. Alors qu’il nous avait habitués aux pires diatribes, pour une fois, il a dit juste.
Dans les faits, rien n’empêche un Tunisien de léguer à l’un de ses enfants la part de sa fortune qu’il juge opportune. De même que si la loi sur l’égalité de l’héritage venait à être votée, ceux qui restent attachés aux lois charaïques pourront toujours suivre les préceptes du Coran. Il ne s’agit pas de protéger ses droits, il s’agit plutôt de les imposer aux autres. Ceux qui s’opposent à l’égalité, s’opposent au changement et veulent que l’Autre pense et agisse exactement comme eux, sous peine d’être rejeté.
Pourquoi donc privilégier un principe et non un autre ? Parce que distribuer équitablement un héritage, revient tout simplement à respecter la constitution, à garantir les droits humains et à traiter tous les citoyens de la même manière. Chacun est libre, après, de vivre la vie qu’il estime juste en fonction de ses principes et de sa religion. Ceci ne regarde que lui et il ne devra rien imposer aux autres.
La constitution de 2014 ne vaudrait plus rien si on continue à respecter des lois qui lui sont contraires. Garantir la liberté de conscience, la liberté de religion et l’égalité entre tous les citoyens sans aucune distinction permet de garantir les droits des uns et des autres et ne signifie pas forcément la « victoire » d’un camp sur un autre. La Tunisie n’est-elle pas un état civil ? Ce principe, inscrit dans la constitution, n’est pas là juste pour faire joli et pour s’attirer les flatteries de la communauté internationale. Il est là pour être respecté. Que la majorité ou non des Tunisiens soit musulmane (ça on n’en sait rien) ne change rien. La constitution devra garantir les lois des musulmans et des non-musulmans. De tout le monde.
Mais pourquoi parler d’islam lorsqu’on sait tous que c’est plutôt de traditions qu’il s’agit ? Il est vrai que c’est l’argument brandi afin de légitimer toutes sortes de choses. C’est l’argument contre lequel on ne peut argumenter, l’argument visant à balayer toutes les thèses les plus solides, car personne ne peut s’élever contre la parole de Dieu.
On peut, en effet, faire dire tout ce qu’on veut à la parole de Dieu. Très peu de lois restent aujourd’hui inspirées de la Chariâa dans la loi tunisienne et que bien d’autres principes archaïques ne sont plus du tout appliqués et sont même rejetés par la société.
On a jugé que l’intérêt social était ailleurs. On a admis dans les mœurs que l’homme ne pouvait épouser quatre femmes, on a admis dans nos traditions que le voleur doit être mis en prison, que l’adultère n’implique pas de lapidation et que l’esclavage ne fait plus partie des règles de notre société. Mais tout ceci est moins délicat que le patrimoine, la succession et l’héritage. Les voies de l’argent sont impénétrables, car ces voies sont les mêmes que celles du pouvoir.
Pour l’instant, si rien n’est fait encore, ces annonces présidentielles « historiques » et « progressistes » ont eu le mérite de faire réagir, de relancer un débat. De détourner le regard des véritables questions ? Sans doute oui. Le président de la République ne fait jamais rien par hasard. Derrière ce discours digne du « grand et de l’unique Bourguiba », se cache une guerre de pouvoir. L’homme qui avait dit, il y a quelques années, que la femme « n’est qu’une femme après tout », s’approprie des combats vieux de plusieurs dizaines d’années. Des combats qui ne sont pas siens afin de se faire voir comme l’homme providence, celui qui sauvera la gent féminine d’années d’injustice. Cette même gent féminine qui a fait qu’il est là où il est aujourd’hui. C’est que les élections sont proches et le calife veut, plus que jamais encore, rester calife. »