Tunisie-Tribune – “La maîtrise de l’inflation, l’une des principales mesures pour assurer la santé d’une économie, est le défi le plus important auquel fait face, aujourd’hui, la Tunisie. Cette inflation galopante détruittout et son contrôle est inéluctable pour corriger la situation économique du pays”. C’est en tout cas l’avis de l’expert-comptable, Walid Ben Salah, dans une interview accordée à l’Agence TAP.
“Si nous parvenons à contenir l’inflation, l’activité économique reprendra convenablement, en termes de consommation et d’investissement, lesquels seraient moins onéreux” .
“Les effets négatifs de l’inflation qui a atteint un niveau record en 2018, soit 7,8%, contre 6,4% à fin 2017 et 4,2% en 2016, pénalisent la situation monétaire et financière du pays, ainsi que sa capacité à mobiliser les ressources de financement nécessaires, aussi bien sur le marché local qu’au niveau des marchés extérieurs”, a d’ailleurs souligné la BCT, dans son rapport pour l’exercice 2017.
L’expert-comptable estime que “dans le contexte actuel, le pays doit s’efforcer à revenir au niveau enregistré huit ans en arrière, soit 3 à 3,5% environ”. Et d’ajouter qu’”une bonne maîtrise de l’inflation permet d’assurer une croissance qui contribue à la création d’emplois et à l’amélioration du bien-être social, via la préservation du pouvoir d’achat du citoyen, tout en évitant les risques de déflation (inflation négative) ou d’hyperinflation (emballement du phénomène d’inflation)”.
Une hausse des prix perçue comme excessive par le citoyen
“La hausse des prix est perçue par les citoyens comme étant beaucoup plus excessive que les taux annoncés par les autorités, tant par le consommateur, dont le pouvoir d’achat s’est de plus en plus érodé, que par l’entrepreneur accablé par la cherté des facteurs de production”.
“D’ailleurs, les taux d’inflation les plus élevés ont concerné les produits de première nécessité. Il s’agit d’une majoration des prix des produits agricoles (10,4%), des services de santé (6,7%), du bâtiment et entretien des logements (13,6%), de l’habillement (7%), du transport (9,9%), et de l’enseignement (7,2%)”, a expliqué Ben Salah.
“Le taux d’inflation publié par l’INS constitue une moyenne entre les différents produits. Il prend en considération les produits encadrés et subventionnés (où l’inflation est très faible), alors que le calcul de la moyenne des différents taux d’inflation des produits de base qui touchent directement le citoyen, en dehors des biens subventionnés, donne un taux qui dépasse les 7,8%”, a-t-il développé.
S’appuyant dans son analyse sur les taux d’inflation enregistrés durant les six premiers mois de 2018, Ben Salah considère que les prévisions annoncées auparavant par la Banque centrale de Tunisie (BCT), et qui tablent sur un taux d’inflation moyen de 8% sur toute l’année, sont plus réalistes que celles du gouvernement, qui prévoit une baisse de ce taux d’ici la fin de cette année.
“La moyenne annuelle du taux d’inflation pourra même dépasser 8% et de nouveaux records seraient enregistrés, dont les conséquences seront très lourdes. De fait, les répercussions des dernières augmentations du taux d’intérêt directeur (en mars et juin 2018), seront de plus en plus ressenties au cours des prochains mois. La hausse du taux directeur mesure initialement prise pour maîtriser l’inflation, s’est transformée en un surcoût pour les entreprises et les investisseurs en général. La politique monétaire de la BCT a, ainsi, donné un effet contraire, parce que l’inflation en Tunisie n’est pas d’origine monétaire, mais plutôt d’ordre économique (surtout importée)”.
“Toujours dans la même logique, la dernière augmentation des prix de l’énergie (carburant, électricité et gaz), qui est une composante du coût direct et indirect de quasiment tous les produits et services, sera perceptible durant la prochaine période, surtout si le prix du baril, à l’échelle internationale, maintient sa tendance haussière, dans ce cas, il faut s’attendre à d’autres augmentations au niveau des prix de l’énergie”, a averti Ben Salah.
“Idem, le glissement du dinar qui n’a cesse de s’aggraver au cours de la dernière période, a un effet important sur l’inflation, car tous les éléments du coût d’un produit (fabriqué localement ou importé), sont fortement influencés par les fluctuations de change”.
“De l’autre côté, il y a lieu de souligner, que la demande des biens et services sera plus forte, au cours de la saison estivale, en raison de l’arrivée en Tunisie d’environ 8 millions de touristes, ce qui signifie 8 millions de consommateurs de plus”, a t-il fait remarquer.
Ben Salah a évoqué également, la question des augmentations salariales qui ne sont pas accompagnées par une augmentation de la production et de la productivité, rappelant que les négociations sociales sont en cours pour de nouvelles augmentations de salaires qui, vraisemblablement, ne se basent toujours pas, sur ces deux éléments fondamentaux.
“Nous sommes encore loin, de la maîtrise de l’inflation!”
“Nous sommes encore loin, de la maîtrise du taux d’inflation, en l’absence d’actions concrètes permettant d’agir efficacement, sur les vrais éléments d’inflation qui sont, à titre de rappel, d’ordre plutôt économique que monétaire. Si ces actions sont mises en œuvre aujourd’hui, leurs fruits seront récoltés à terme et non pas immédiatement, d’où la nécessité de commencer dès aujourd’hui”, a relevé Ben Salah.
Pour ce faire, “la BCT et le gouvernement doivent coordonner étroitement, pour élaborer une politique claire et ciblée, en prévoyant des mesures de contrôle économique et financier, qui ciblent les véritables origines de l’inflation”.
“II faut traiter, un par un, les facteurs endogènes explicatifs de cette inflation, sachant qu’il y a des facteurs exogènes, difficiles à maîtriser ou qui nécessitent des actions à plus long terme, telles que la maîtrise du coût de l’énergie”.
L’expert a cité les éléments, sur lesquels les autorités peuvent interférer, dont la dépréciation du cours du dinar qui pourrait être maîtrisée, en agissant sur la balance commerciale, via l’augmentation des exportations notamment à travers la maîtrise de la production, dans le secteur du pétrole et du phosphate.
“Il s’agit aussi, de rationaliser les importations. Nous constatons aujourd’hui, l’existence sur le marché local de plusieurs produits de consommation importés qui sont superflus ou qui ont des similaires fabriqués localement, alors que plusieurs médicaments font défaut dans les pharmacies”.
Pour lui, “un durcissement des mesures est nécessaires pour sortir de cette situation, puisque même l’instauration de droits de douane supplémentaires et la majoration des taux n’ont pas contribué à la baisse du flux des importations”.
L’inflation galopante rend invisible le progrès enregistré
“Certes, il y a quelques indicateurs économiques qui reflètent une légère amélioration de la situation économique dans le pays, mais, l’inflation galopante rend invisible tous les accomplissements et les quelques indicateurs positifs deviennent ainsi, insuffisants”, a estimé l’expert comptable.
La réalisation d’un taux de croissance de 2,5%, demeure en-dessous des prévisions budgétaires (3%) et ne permet pas de relancer l’économie et d’absorber le taux de chômage, estimé à plus de 15% et qui persiste à ce niveau élevé depuis plusieurs années.