Tunisie-Tribune (modernité de Noureddine Ktari) – Dans son ouvrage qui vient d’être édité par Nirvana à Tunis, avec une préface d’Abdelmajid Charfi, président de Beit El Hikma, Noureddine Ktari nous invite à effectuer un long voyage dans l’histoire des musulmans mais aussi à nous arrêter sur notre marche vers le progrès.
Pour tenter de répondre à la question qu’il pose dès le début de son livre, relative aux causes du retard dont souffrent aujourd’hui les peuples musulmans, l’auteur remonte à l’âge d’or de l’Islam et rappelle les raisons d’une décadence qui paraît irrémédiable depuis le XIIème siècle. Pris de panique devant la philosophie d’El Kindi et Averroès notamment, ils avaient brûlé leurs écrits et renoncé à leur savoir pour sombrer dans l’ignorance.
Une chape s’est alors formée autour de leur ignorance constituée par la tradition, le fatalisme, la superstition, le refus de l’innovation (Al Bidaa) qui constitue nécessairement une erreur et mène a l’enfer, un statut de la femme qui en fait une esclave… De quoi faire de la religion une politique. Des penseurs extrémistes comme Abulaa el Mawdoudi s’y accrocheront. Les Salafistes, par définition réfractaires à toute évolution, le feront aussi. Cela fera dire aux non-musulmans qui prenaient de l’avance que l’islam est incompatible avec toute évolution ou modernisation
En raison de leur retard, les peuples musulmans seront colonisés. Les peuples musulmans sous tutelle, seront connectés par conséquent à trois métropoles : la Mecque bien sûr, Istanbul, qui leur offre l’image d’une grandeur dépassée, et surtout la métropole de la puissance coloniale : Paris Londres, Rome etc. Les universités produisent des esprits différents, de sorte qu’entre un Égyptien un Jordanien, un Algérien ou un Libyen, l’entente n’est pas immédiate.
Les musulmans tenteront de rattraper leur retard. Ce sera difficile, voire très difficile : il y aura des tentatives pragmatiques, en imitation des expériences des pays avancés, mais les conditions requises pour un développement économique et social ne sont pas acquises. Il y aura le panislamisme : unir tous les musulmans pour constituer une force. Cela n’aboutira pas. Il y aura le panarabisme : unir tous les Arabes pour constituer une force. Nasser, Saddam, Assad, Kadhafi, Ben Bella … ne réussiront pas !
Surgiront entretemps deux leaders révolutionnaires, Atatürk et Bourguiba, qui chercheront, selon des méthodes différentes, à transformer leur société en vue de les habiliter à la modernisation et au développement.
Atatürk utilisera la méthode militaire. Il abolira le califat et promulguera les codes des pays occidentaux comme loi turques. Bourguiba procèdera différemment. Il adoptera la politique des étapes.Il abolira la polygamie, et la répudiation, il généralisera l’éducation pour les garçons comme pour les filles, développera la santé et instituera le planning familial. Il cherchera à réduire les écarts entre les citoyens et comparera leur comportement avec ceux des pays que l’on qualifie déjà de pays développés.
Les Tunisiens et le monde entier reconnaissent que la greffe moderniste de Bourguiba a pris : La Tunisie n’est plus la même. Les Tunisiens non plus. Ils aspirent et revendiquent même cette modernité à laquelle ils ont pris goût. Mais des freins et des blocages apparaîtront qui atténueront notre optimisme. Les Tunisiens savent que la modernité et le progrès sont liés et se méritent.
Des batailles sont en effet à gagner contre les forces conservatrices et réfractaires au progrès. Il s’agit d’une part des puissances coloniales qui ne semblent pas accepter que l’émancipation des anciennes colonies les prive d’un marché traditionnel et encore moins les concurrencer. L’auteur explique dans son ouvrage comment et pourquoi l’Organisation Internationale du Travail (OIT) était, selon lui, derrière les évènements du 26 Janvier 1978 en Tunisie.
Il s’agit d’autre part du mouvement islamiste, affilié aux Frères musulmans qui s’efforce de freiner l’élan moderniste génère par Bourguiba et s’efforce depuis son entrée au parlement après le 14 Janvier d’utiliser « la technique de la goutte-à-goutte » pour « placer des barres de fer » dans les engrenages de la mécanique moderniste.
Les insuffisances ou faiblesses du règne de Bourguiba seront exploitées par les opposants islamistes :
- L’absence de démocratie que Bourguiba considérait comme prématurée et la tendance autoritaire du Parti Unique
- Le régionalisme et l’iniquité qui ont généré des disparités à tous les niveaux et des problèmes socio-politiques très compliqués
- Les problèmes de gouvernance notamment par suite des choix contestables des Premiers Ministres post Nouira qui n ‘avaient pas saisi les enjeux et les défis qu’ils avaient à affronter et qui n’avaient pas réalisé que le modèle économique tunisien était visé et torpillé par l’Europe
La question qui demeure posée au lendemain de la Révolution du 14 Janvier est la même : Comment avancer sur le chemin de Bourguiba ? C’est Nicolas Shakespeare qui a dit : « Ils n’ont pas réussi parce qu’ils n’ont pas commencé par rêver ».
On nous dira que le pays ne fait que rêver. Mais aucun des 122 partis politiques tunisiens n’a proposé un rêve crédible. Tous critiquent mais proposer une vision, n’est pas rêver.
L’auteur cite un certain nombre de rêves et d’expérience qu’il propose à la méditation du lecteur avec l’espoir de voir émerger un rêve tunisien commun.