Tunisie-Tribune (déferlante en Tunisie) – Ils ont tous le vertige! Sonnés par les intentions de vote à la présidentielle et aux législatives, les partis politiques se réveillent sur un cauchemar qu’ils avaient eux-mêmes fabriqué. Tous exclus des premières positions, ils se tassent de loin en bas des sondages, abasourdis face aux météorites qui s’élancent. Refusant d’y croire, implorant un renversement des tendances, ils n’avaient pas vu venir la déferlante qui risque de les emporter. Et pourtant, ce n’est pas une première, le phénomène Al Aridha Echaabia de Héchemi Hamdi en 2011, à un degré moindre, nous avait pris de court. Cette fois, tous ces signes avant-coureurs sont perceptibles.
Si l’oppression et la malversation ont été les déclencheurs du sursaut libérateur en 2011, ce sont la pauvreté menaçante et les inégalités sans cesse accrues qui tissent la toile de fond des prochains scrutins. En sanction ! Rattrapée par la précarité, la classe moyenne (et même supérieure) a perdu toute confiance en tous ceux qui se sont hissés aux commandes. Au gouvernement, comme à l’Assemblée des représentants du peuple, dans les partis, comme dans leurs satellites. Cette frange la plus large de la société tunisienne est décidée à prendre son destin en main. Ralliée en cela par une très large majorité de Tunisiens au-delà des appartenances politiques et idéologiques, elle entend d’abord sanctionner et en même temps choisir.
Les Tunisiens en souffrent ! L’Etat protecteur n’est plus là pour sauver le peuple. Contre la déliquescence des institutions, l’injustice, l’inégalité, l’abus de pouvoir, les «combinazioné» à l’ARP, l’étiolement de l’administration, le corporatisme dominateur, la dégradation des services publics, la remise en cause des acquis et tant d’autres malheurs, l’Etat a été incapable d’endiguer les flots, d’agir, d’y mettre fin. Au cœur de toutes ces zones d’intoxication, le pouvoir d’achat érodé, la paupérisation devient une réalité menaçante. Ni épargne envisageable pour faire face aux imprévus et ils sont lourds et fréquents. Ni minimum vital sécurisé, le calvaire des familles devient insoutenable.
Avant même le portefeuille, c’est le panier de la ménagère qui votera! Le résultat n’est pas difficile à deviner : «Qu’ils partent tous! Responsables de nos maux, champions de la désinvolture, doublés de prédateurs et d’incompétents, ils ont trahi notre confiance. Ils doivent laisser la place à de nouveaux visages!» D’une même voix, beaucoup de Tunisiens l’affirment haut et fort.
Nul besoin d’habileté diabolique populiste pour susciter ce sentiment, les fractures sont profondes. Ceux qui croient à la manipulation de l’opinion publique, évidemment possible, ignorent l’ampleur de cette lame de fond qui monte en puissance. L’intelligence collective, l’apprentissage de la démocratie à travers cinq scrutins successifs en sept ans ont fait revenir les Tunisiens de leurs illusions. Ils sont désormais déterminés à exercer leur vote. Même s’ils sont tentés d’élire cet automne des candidats pour Carthage, le Bardo et la Kasbah, des têtes en dehors du système établi, quitte à courir l’aventure, ils sont prêts à prendre le risque.
La paupérisation des familles est aussi celle de l’Etat. Depuis 2011, la Tunisie aura perdu près de 150 milliards de dinars, soit une fois et demie son PIB en manque à gagner et nouvelles charges. Phosphate, tourisme, énergie, terrorisme, situation en Libye, dégringolade du dinar, recrutements massifs et clientélistes, emplois de complaisance et service de la dette en sont les principaux facteurs. Ce coût aussi lourd peut également être considéré comme le prix de l’affranchissement de la dictature et de l’accès à la démocratie. A une seule condition, que ce sacrifice fait par le contribuable serve effectivement à la relance économique, la défense du pouvoir d’achat du Tunisien et la réduction des inégalités. On en est bien loin.
Les cinq dernières années auront-elles alors été du pur gâchis? Si des avancées ont été accomplies, les ratages ont été fréquents, aux lourdes conséquences. Au Bardo, les élus de la Nation ne se sont pas tous et complètement acquittés de leur mission. Dans leurs manœuvres et fausses manœuvres, ceux qui sont au gouvernement, dans les partis et certaines organisations nationales n’ont pas fait mieux. L’aggravation est venue des partis, ceux dominants et ceux impuissants. Tous seront sanctionnés, mais ce sera surtout le Tunisien qui paiera la facture la plus chère.
Faut-il se résigner à cette déferlante sans autre perspective? Est-il encore temps d’agir pour l’endiguer? Qui pourrait le faire ? En continuant à commettre les mêmes erreurs, les politiciens ne feront qu’aggraver leur cas et précipiter leur chute. Dans la médiocrité de l’offre politique, l’émergence spectaculaire d’hommes et de femmes d’Etat, reconnus pour leur droiture et leur sens politique, est capable de changer la nouvelle donne, tout au moins limiter les dégâts.
Les cinq prochaines années qui nous attendent seront dures, très dures. Sans révision de la constitution, sans révision profonde de la loi électorale et sans renouvellement du personnel politique, la Tunisie tombera inéluctablement de Charybde en Scylla. Alors que c’est rattrapable!