Tunisie-Tribune (projet de politique économique) – Aujourd’hui, la Tunisie risque le défaut de paiement : sa dette extérieure, libellée en devises étrangères, vient de dépasser les 30 milliards de dollars. Ses réserves de change, alimentées via l’export, le tourisme, l’investissement étranger ou la diaspora avec les « remittances » (transferts de fonds des travailleurs à l’étranger) sont insuffisantes ! D’où le recours continuel à l’emprunt : de nouvelles dettes pour rembourser d’autres dettes…
Les prêts contractés auprès du FMI permettent surtout au ministère des Finances et à la Banque centrale de Tunisie de défendre efficacement la valeur du dinar, sous pression, en raison des importations massives de denrées alimentaires, d’énergie et du déficit commercial structurel.
La Tunisie doit importer beaucoup de son énergie et de ses produits alimentaires faute de souveraineté dans ce domaine. Et elle importe aussi beaucoup de produits à haute valeur ajoutée pour faire fonctionner ses industries, ainsi que de l’équipement high-tech comme les smartphones et les ordinateurs.
En contrepartie, le pays exporte des produits à faible valeur ajoutée comme l’huile d’olive, le textile, les câbles électriques ou le phosphate. Cela engendre un déséquilibre structurel de la balance commerciale. Il fait pression sur la valeur de la monnaie. Or, plus la valeur du dinar baisse face à l’euro et au dollar, plus le pays importe à un coût élevé et plus l’inflation augmente. La hausse des prix pèse aussi sur le pouvoir d’achat des Tunisiens.
Vision stratégique
La Tunisie se positionne pour devenir la rock star des nouvelles énergies et par conséquent la rock star des partenaires européens en profitant du boom de l’hydrogène propre que devrait déclencher le gigantesque plan de relance européen.
Pour cela, le pays profite d’un concours de circonstances unique (sa position géographique avantageuse, sa main d’œuvre abondante, et le nouveau leitmotiv européen : la décarbonation de ses industries, de ses transports, de ses immeubles). Et ce en adoptant un nouveau moteur économique essentiellement basé sur une nouvelle brique technologique, les énergies renouvelables et une agriculture durable.
Quelle meilleure technologie, pour décarboner, que l’hydrogène « propre » (c.à.d. sans rejet de CO2 dans l’atmosphère) qui s’obtient par électrolyse : la technique consiste en gros à faire passer un courant électrique dans de l’eau pour séparer et récupérer les molécules d’H2 et d’O2 à la sortie. En Europe, les électrolyseurs de grande taille sont encore peu répandus (seulement quelques fabricants), mais l’idée est de les multiplier et de les coupler à des centrales solaires.
La recette tunisienne pour transformer l’impensable en plausible ?
Une électricité verte parmi les moins coûteuses au monde et peu taxée. Que faut-il principalement pour produire de l’hydrogène (un gaz paré de toutes les vertus pour décarboner l’industrie mondiale)?
De l’eau et de l’énergie, en quantités colossales. Or le pays dispose d’un vaste littoral (eau), de ports, et, de par son ensoleillement (l’ensoleillement exprime la quantité d’énergie reçue par le rayonnement solaire sur une surface donnée et sur une certaine période.), l’énergie solaire y a l’ubiquité de l’air (le rayonnement solaire est inépuisable, gratuit. Son rendement, en Tunisie, est excellent, (meilleur qu’en Espagne et en Italie). Sans oublier son vivier d’ingénieurs et une main d’œuvre abondante et moins chère que dans le Sud de l’Europe.
Pour produire l’électricité verte, on peut transformer le désert des régions déshéritées de l’intérieur en mer de panneaux photovoltaïques. C’est-à-dire construire des méga-centrales solaires et en même temps des méga-usines d’électrolyseurs (1,3 gigawatt par an). Les technologies d’électrolyse (alcaline sous pression), des panneaux solaires de dernière génération et de dessalement de l’eau de mer sont toutes matures et robustes. Correctement combinées elles allient rendement physique et rentabilité économique
« Pour produire l’électricité verte, on peut transformer le désert des régions déshéritées de l’intérieur en mer de panneaux photovoltaïques »
Le troisième volet du plan de développement industriel consiste à se spécialiser dans les équipements de production et de distribution d’hydrogène propre : notamment en construisant des méga-usines de piles de combustibles. Celles-ci sont un excellent moyen de stocker l’électricité (bien plus efficace que les batteries). L’électricité stockée dans les piles à combustible alimentera les moteurs de bus, de trains, de bateaux, de camions, de voitures, les chaudières, etc. La Tunisie peut devenir un exportateur (fournisseur stratégique de l’Europe) de piles à combustible.
Des régions autonomes et quelques provinces du Sud de l’Europe se concentrent à des degrés divers sur l’énergie solaire et l’hydrogène, mais pas avec la même conjonction d’atouts, et puis il ne s’agit ça et là que de politiques de développement régional. Tandis qu’en Tunisie il s’agirait d’un développement prioritaire à l’échelle carrément nationale, ce qui le rendrait encore plus rentable (économies d’échelle).
Globalement, cela veut dire que ce que font certaine régions d’Europe du Sud, la Tunisie peut le faire mieux, en réalisant le triptyque faster, cheaper, better (plus rapide, moins cher, meilleur), et devenir dès lors une zone économique d’importance stratégique pour l’Europe, qui deviendrait de facto le principal bailleur de fonds de la Tunisie.
L’Algérie et la Libye ne sont pas des concurrents. L’Algérie étant plus une « démocrature » et la Libye n’ayant pratiquement pas d’Etat, ces deux pays ont peu de chances de devenir des partenaires privilégiés de l’Union Européenne, éligibles aux fonds structurels européens. Par ailleurs ces deux pays n’ont aucune motivation de sortir de leur zone de confort en imaginant un plan de développement économique : ils se contentent de la rente de situation que leur confèrent leurs ressources en gaz et en pétrole.
Plan de développement
Un dispositif en quatre volets pour faire passer le pays à une économie industrielle ;
- Electricité : des centrales solaires géantes munies de panneaux photovoltaïque dernière génération, dans les régions déshéritées de l’intérieur. L’électricité produite doit d’abord couvrir les besoins primaires en énergie du pays.
- Eau : le surplus d’électricité produite sera utilisé dans des usines de dessalage de l’eau de mer, le long du littoral. Il faut s’y atteler au plus tôt puisque, selon les experts, la demande d’eau potable devrait dépasser l’offre de 40 % d’ici 2030. Ce qui coûte le plus cher dans la désalinisation de l’eau de mer c’est l’énergie phénoménale qu’elle requiert. Grâce à son ensoleillement, le coût d’exploitation d’une usine de dessalement d’eau de mer est moins cher en Tunisie que dans le sud de l’Espagne (où la main d’œuvre est plus chère ainsi que l’énergie requise puisque l’Espagne manque d’espace pour développer des méga-centrales solaires.
- Agriculture : l’eau dessalée est utilisée pour dynamiser la production alimentaire (couvrir les besoins primaires et booster les exportations de produits frais et de produits conditionnés). Ce qui signifiera, outre la fin des subventions alimentaires et énergétiques qui dilapident les ressources financières de l’Etat, un nouveau flux de devises pour le pays.
- Piles de combustible : l’eau de mer dessalée servira également à la production d’hydrogène propre au sein de méga-usines d’électrolyseurs couplées aux centrales solaires.
Avantages
Résorption du chômage et de la fracture socio-territoriale, sécurité alimentaire et énergétique (baisse des importations mangeuses de devises), industrialisation d’avant-garde dans une filière d’avenir (assurance de débouchés en Europe et dans le reste du monde), génératrice de devises (recettes d’exportation de produits technologiques à haute valeur ajoutée), sortie du cercle vicieux de la dette nationale.
L’Etat jouissant de nouvelles ressources financières ne sera plus obligé de parer au plus pressé en finançant à crédit ses promesses hâtives à des mouvements sociaux sans fin.
45 000 emplois pourraient être créés d’ici à 2030, notamment dans les zones intérieures : installation et entretien de panneaux solaires, de câbles électriques, de pipelines d’eau, de gazoducs pour transporter le précieux H2…
Avec quel argent ?
Celui des bailleurs de fonds internationaux institutionnels qui, sur base d’une vision et d’un plan d’industrialisation riche en débouchés et avalisé par l’Organisation des Nations-Unies pour le développement industriel (UNIDO), peuvent libérer des fonds supplémentaires autres que ceux habituellement destinés aux plans de sauvetage d’urgence destinés à la survie de l’Etat démocratique demandeur.
Et si la Tunisie choisit de se positionner comme partenaire stratégique indispensable au nouveau plan de relance européen, elle aura accès à certains fonds structurels de l’UE. Mais aussi et surtout, elle aura accès aux bailleurs de fonds privés (industriels, transporteurs, bâtisseurs…), les consortiums de financement et les fonds souverains…
Devenir un partenaire économique stratégique n’est en rien devenir un vassal de l’Europe. En effet, une fois son nouveau moteur économique mis en place et rôdé, la Tunisie (devenue experte de la production et la distribution de l’hydrogène propre) pourra intéresser n’importe quel apporteur de capitaux du monde, tant occidental qu’oriental.
Par ailleurs, ce projet de développement est bien plus intéressant pour la Tunisie que ne l’est le projet Desertec (le projet colossal du solaire saharien… pour l’Europe), puisque l’électricité produite n’est pas simplement envoyée en Europe contre une petite rente, mais est utilisée sur place pour fabriquer et distribuer des produits à haute valeur ajoutée, générateurs d’abondantes devises.