Louise Mushikiwabo, SG de la Francophonie : « Je suis très confiante pour un Sommet réussi »

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Tunisie Tribune (Louise Mushikiwabo) – A quelques jours du 19 novembre et de l’ouverture à Djerba, du XVIIIe Sommet de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la Francophonie, est «très confiante pour un sommet réussi.» Dès demain, samedi 12 novembre, elle sera à Djerba aux côtés du président Kais Saïed pour l’inauguration du Village de la Francophonie. A la tête depuis quatre ans de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), elle présentera une OIF « transformée », « mobilisée », et « plus visible », déclare-t-elle dans une interview à Leaders. «Le rendez-vous de Djerba, tant attendu, est celui de la maturité de notre Organisation, forte de ses succès passés et désormais prête à affronter sereinement l’avenir».

Quelle est la portée de ce Sommet ? Que peut représenter la francophonie ? La langue française est-elle en perte de vitesse ? L’entrave d’accès à des pays francophones (visas) ne risque-t-elle pas de miner le sentiment francophone ? Être francophone aujourd’hui, qu’est-ce que cela signifie ? Mushikiwabo n’a éludé aucune question de Leaders.

Ancienne ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Communauté de l’Afrique de l’Est de la République du Rwanda, pendant dix ans, elle a été auparavant ministre de l’Information du gouvernement du Rwanda. Louise Mushikiwabo, diplômée en langues et en interprétation de l’Université du Delaware aux États-Unis, maîtrise à la perfection le français et l’anglais, en plus de sa langue maternelle, le kinyarwanda.

Elle garde de solides attaches en Tunisie où elle avait séjourné lorsqu’elle était directrice de la communication à la Banque africaine de développement.

Interview.

Ce sommet est celui du cinquantenaire. Quelle est sa signification et sa portée ?

Le XVIIIe Sommet de la Francophonie devait en effet se tenir initialement en 2020, coïncidant avec le cinquantième anniversaire de notre Organisation née en 1970 à Niamey, au Niger, sous l’impulsion de quatre Chefs d’État issus des indépendances qui se sentaient liés et reliés par la langue française, dont le père de la nation tunisienne, Habib Bourguiba. La pandémie a retardé cet important rendez-vous de la Francophonie avec son histoire.

Cinquante-deux ans après sa création et quatre ans après ma prise de fonctions, je présenterai au Sommet de Djerba, les 19 et 20 novembre prochain, une Organisation internationale de la Francophonie (OIF) transformée, ayant revu ses modes opératoires pour plus d’efficacité et de pertinence. Une Organisation mobilisée en faveur de la langue française partagée dans une grande diversité de contextes linguistiques et culturels. Une Organisation plus visible dans l’échiquier politique international dont l’action de médiation et d’influence a gagné en visibilité.

Le rendez-vous de Djerba, tant attendu, est celui de la maturité de notre Organisation, forte de ses succès passés et désormais prête à affronter sereinement l’avenir.

Dans un monde de plus en plus conflictuel et fracturé, que peut représenter la Francophonie pour ses membres et que peut-elle apporter ?

Il est vrai que le monde est en proie à des bouleversements inédits qui n’ont pas épargné l’espace francophone : à la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19, s’ajoutent des difficultés économiques et sociales inédites ; un nombre important de pays traverse des situations politiques complexes mettant à mal les équilibres démocratiques ; certains de nos membres font même face à des conflits sanglants. Dans ce contexte international plus que tendu, et face aux frustrations grandissantes des peuples, le système multilatéral doit être rénové, peut-être même repensé. C’est justement cette nouvelle forme de multilatéralisme que l’OIF met en œuvre. L’évolution de sa gouvernance, le resserrement de son action autour de projets-phares à forte valeur ajoutée et les actions d’influence qu’elle mène, en font une Organisation plus agile, plus souple, mieux apte à trouver des consensus pour dépasser les clivages traditionnels. C’est là sa principale valeur ajoutée.

Avez-vous craint que ce Sommet ne puisse pas se tenir en Tunisie ?

La décision sur le pays hôte d’un Sommet de la Francophonie est prise en amont par les Chefs d’État et de gouvernement. C’est à Madagascar, en 2016, que la Tunisie avait été désignée pour accueillir le Sommet du cinquantenaire, en hommage à l’un des pères fondateurs, Habib Bourguiba. Il est vrai qu’après deux reports consécutifs, nous avons hâte aujourd’hui que ce Sommet puisse se concrétiser, et ce dans les meilleures conditions.

A quelques semaines de sa tenue, je suis très confiante pour un Sommet réussi.

N’avez-vous pas le sentiment que la Francophonie et la maîtrise de la langue française sont en perte de vitesse dans de nombreux pays, notamment dans les pays d’Afrique du Nord ? L’OIF peut-elle faire quelque chose pour y remédier ?

Alors, contrairement aux apparences, la langue française est en progression dans la plupart de nos pays, et ce y compris en Afrique du Nord, une région dans laquelle, selon les données de l’Observatoire de la langue française, le nombre de locuteurs quotidiens a augmenté de presque 7% entre 2018 et 2022. L’apprentissage des langues étrangères, la consolidation des langues nationales ne se font pas au détriment du français, mais à ses côtés, confirmant ainsi l’approche de la Francophonie qui est celle de l’ouverture et de la promotion de la diversité. Mais cette progression dépendra, bien entendu, de nos efforts en faveur de l’apprentissage du français.

Les Chefs d’État et de gouvernement seront d’ailleurs amenés à adopter à Djerba une importante « Déclaration sur la langue française dans la diversité linguistique de la Francophonie » dans laquelle ils réaffirmeront leurs engagements vis-à-vis de cette langue partagée. Une langue sur laquelle repose tout l’édifice de notre Organisation : engagements à renforcer la qualité de son enseignement, à l’utiliser davantage dans les relations internationales, domaine dans lequel le recul est avéré, à la considérer comme un outil de communication moderne et décomplexé, important pour faire des affaires dans beaucoup de régions du monde et pour l’insertion professionnelle des jeunes. En retour, notre Organisation s’engage à renforcer la coopération en faveur de la langue française, sur la base d’un diagnostic précis des situations qui diffèrent selon les pays.

L’entrave d’accès à des pays francophones (visas) ne risque-t-elle pas de miner le sentiment francophone ?

L’accès aux États membres de la Francophonie relève de politiques et de stratégies nationales ou régionales, comme c’est le cas dans l’Union européenne ou dans d’autres organisations mettant en œuvre des dispositifs d’intégration régionale comme la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ou la Communauté Est-Africaine (EAC). L’OIF met tout en œuvre pour favoriser la circulation des talents dans tout l’espace francophone qu’il s’agisse de créateurs, d’artistes, de professeurs et de formateurs, grâce à notre programme-phare de mobilité des enseignants, de femmes et d’hommes d’affaires à travers ses missions économiques et commerciales… Le sentiment d’appartenance à la Francophonie, comme nous l’ont rappelé les plus de 10 000 jeunes qui ont participé à la grande consultation sur l’avenir de la Francophonie que j’ai lancée en 2020, est fondé sur le partage de la langue française. Et cette langue française ne connaît pas de frontières.

Être francophone aujourd’hui, qu’est-ce que cela signifie ?

Permettez-moi, pour répondre à cette question, de m’inspirer aussi de la parole des jeunes qui ont répondu à notre consultation de 2020. Être francophone en 2022, c’est d’abord partager une langue qui doit être davantage enseignée, « simplifiée » et promue aux côtés des langues locales ou nationales, dans le respect des cultures qu’elle relie. C’est grâce à cette langue et à ses multiples accents et variétés qu’on peut se sentir partie prenante d’une communauté internationale solidaire : réseautage, mobilité, échanges, autant de mots qui définissent le désir de nos jeunes d’être ensemble, notre désir, à toutes et à tous, d’être ensemble. Ensemble pour répondre aux défis de nos sociétés en mutualisant nos expertises et en capitalisant sur nos bonnes pratiques. Ensemble pour trouver des solutions adaptées aux problèmes auxquels nous sommes confrontés grâce à une coopération agile et efficace. Être francophone, c’est croire en l’intelligence collective pour faire perdurer la diversité qui caractérise le monde.