Tunisie Tribune (Son Excellence Joey Hood, Ambassadeur des USA) – Aussitôt arrivé à Tunis, le nouvel ambassadeur des Etats Unis à Tunis Joey R.Hood a pris ses fonctions avec une « rapidité déconcertante » puisqu’il a eu le privilège de présenter ses lettres de créance au lendemain de son arrivée. Il est rare dans les annales diplomatiques qu’un ambassadeur soit reçu par le Chef de l’Etat dès qu’il ait foulé le sol du pays d’accréditation.
On a même épargné à l’ambassadeur américain la formalité de présenter une copie figurée de ses lettres de créance au ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi comme c’est l’usage. A cet effet, il est utile de rappeler que les deux ambassadeurs ayant remis au président de la République Kaïs Saïed leurs lettres de créance en même temps que l’ambassadeur américain, à savoir ceux de l’Etat des Emirats arabes unis et de la République populaire de Chine, ils ont été reçus par Othman Jerandi respectivement le 5 et le 19 janvier à qui ils ont présenté une copie figurée de leurs lettres de créance.
La présentation des lettres de créance n’étant point une formalité comme on peut l’imaginer, la rapidité ou le retard dans la fixation de sa date n’est jamais fortuite ni le fruit du hasard. Ainsi on constate que lorsque le pays d’accueil veut faire montre de son mécontentement ou tout du moins de son désappointement envers le pays accréditaire, il peut laisser l’ambassadeur attendre parfois des mois avant d’être reçu par le chef de l’Etat du pays d’accréditation. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque l’état des relations est au zénith et que la personne nommée jouit d’une aura certaine, la cérémonie se tient aussitôt l’ambassadeur arrivé sur le sol de l’Etat d’accréditation. C’est que la rapidité ou le retard peut être considéré comme un indice de l’état des relations bilatérales.
De même, il n’est pas rare que cette cérémonie soit mesurée à la balance de la réciprocité, un élément parfois déterminant dans les rapports diplomatiques entre Etats.
Sur ce plan, il faut bien rappeler que l’actuelle ambassadrice de Tunisie à Washington Hanene Tajouri Bessassi a été reçue au Bureau Ovale à la Maison Blanche par le président Joe Biden le 13 juin 2022, alors que le chef de l’Etat tunisien lui a remis ses lettres de créance le 4 octobre 2021, c’est-à-dire neuf mois auparavant. Pour relativiser ce retard on avait invoqué la pandémie du coronavirus, alors que la réception à la Maison Blanche n’avait pas été considérée comme une présentation de lettres de créance.
On peut rappeler aussi que l’actuel ambassadeur de Tunisie à Paris, Mohamed Karim Jammoussi avait remis le 12 avril 2021 au président français Emmanuel Macron les lettres de créance qui lui ont été confiées par Kaïs Saïed le 9 octobre 2020. A l’époque on avait mis ce retard sur le dos de la trop longue vacance du poste, alors que les autorités françaises l’avaient justifié par l’organisation de deux cérémonie par an, pendant l’automne et au cours du printemps pour la présentation des lettres de créance pour l’ensemble des ambassadeurs accrédités.
Il ne fait pas de doute que la « rapidité déconcertante » de la remise des lettres de créance du nouvel ambassadeur américain est un geste hautement politique fait par le Chef de l’Etat tunisien à l’endroit du représentant des Etats Unis, un partenaire de premier plan et un pays ami de longue date de la Tunisie. La polémique suscitée par ses propos lors de son audition du Sénat est-elle oubliée pour autant ? On peut en douter car Joey Hood avait déploré au cours de cette audition « une érosion alarmante des normes démocratiques et des libertés fondamentales au cours de l’année écoulée, (en Tunisie) qui ont hypothéqué de nombreux acquis durement réalisés depuis qu’ils (les Tunisiens) ont renversé un dictateur en 2011″. »Les actions du président Kaïs Saïed au cours de l’année écoulée pour suspendre la gouvernance démocratique et consolider le pouvoir exécutif ont soulevé de sérieuses questions », avait-il ajouté.
Ces propos avaient été rejetés par les autorités tunisiennes. Le ministre Othman Jerandi avait dénoncé dans un communiqué « une ingérence inacceptable dans les affaires nationales intérieures », et exprimé « la stupéfaction tunisienne après ces déclarations qui ne reflètent pas du tout la réalité de la situation en Tunisie ». La chargée d’Affaires US Natasha Franceschi a d’ailleurs été convoquée par le ministre à cette occasion.
Ce chapitre des relations bilatérales est-il tourné ? Selon le communiqué lapidaire publié dans la page Facebook de l’ambassade américaine à Tunis, l’ambassadeur Hood a souligné : « Je suis ravi d’être le nouvel ambassadeur en Tunisie et j’ai hâte de renforcer les liens historiques et de longue date entre nos deux nations. »
Pour mémoire, Joey R.Hood succède à Donald Blome muté dans ses mêmes fonctions à Islamabad au Pakistan depuis avril 2022. Le poste d’ambassadeur des Etats Unis à Tunis est donc resté vacant pendant dix mois. Ce qui n’est pas peu.