Tunisie-Tribune (Tunisair) – Tunisair a lancé un programme de renforcement de sa flotte, misant sur des contrats de sale and lease-back. Mais en dépit des efforts visant à remettre à flot la compagnie, la flotte n’est pas toujours capable de répondre à la demande qui explose pendant la saison estivale
Le transporteur national fait face à des suspicions de corruption qui ne datent pas d’aujourd’hui. La récente visite du Président de la République a conduit à la réouverture des dossiers, faut-il s’attendre à un coup de balai au sein de Tunisair ?
Le Chef de l’Etat a récemment effectué une visite non annoncée à l’aéroport de Tunis-Carthage, une occasion pour revenir sur la situation du transporteur national. Si la Gazelle commence à reprendre petit à petit son éclat d’antan, elle croule toujours sous le poids des dettes et de lourds dossiers de corruption qui entachent sa réputation. Entre cession d’engins à des prix dérisoires, une flotte réduite et défaillante, un trafic de pièces de rechange et des recrutements abusifs et hors la loi, le Chef de l’Etat a mis le doigt sur la plaie.
Fidèle à ses habitudes, le locataire de Carthage n’est pas allé les mains vides à l’aéroport de Tunis-Carthage. Muni de dossiers de corruption, Kaïs Saïed a énuméré, preuves à l’appui, plusieurs cas de ce qu’il appelle des irrégularités et actes de corruption qui ont gangréné Tunisair depuis des décennies. En effet, le Président de la République a évoqué un certain nombre de violations connues, entre autres le cas de l’avion Amilcar, parti de Tunisie en 2017, et qui n’est toujours pas revenu, selon sa déclaration. «C’est une première mondiale qu’un avion quitte le territoire sans autorisation douanière, il se trouve actuellement en Floride», a-t-il ajouté. Pour sa part, le PDG de Tunisair a affirmé que cet avion a été cédé, mais le Chef de l’Etat a insisté qu’il avait été illégalement cédé et qu’il s’agit d’un cas avéré de corruption.
En outre, Saïed a fait remarquer que de nombreux employés ont été recrutés au sein de Tunisair de manière illégale par le biais de faux diplômes. Le trafic des pièces de rechange a été également mis sur la table. Le Président a en outre insisté sur l’amélioration des services de la compagnie pour rester compétitive sur un marché concurrentiel, exigeant la ponctualité des vols et encourageant les efforts de développement de la compagnie et de son personnel.
Le Chef de l’Etat ne parle pas dans le vide. Précédemment, il avait dévoilé de lourds dossiers de corruption, notamment au sein des entreprises publiques, Tunisair ne fait pas l’exception dans ce paysage marqué par les dépassements et les manquements qui ne cessent d’affaiblir ces grandes institutions.
Ainsi, le transporteur national fait face, depuis plusieurs années, à des soupçons de corruption relatifs aux recrutements, mais aussi à son plan de restructuration lancé depuis 2019. Ce plan a été lié à des tentatives d’extorsion et de pots-de-vin dans le cadre des plans sociaux engagés par la compagnie. Certains agents auraient même été appelés à payer des sommes d’argent pour être placés sur la première liste des employés sur le départ. De même, les critères du plan social encourageant les employés à partir n’ont pas été dévoilés.
Tunisair Technics sous les projecteurs
Dans ce contexte, un ancien haut responsable de Tunisair confirme l’existence de nombreux dépassements au sein de la compagnie. Sous le couvert de l’anonymat, il décrit la situation comme un «cumul», voire un «lourd héritage» de mauvaise gestion et de manque de transparence qui ont empêché le décollage de Tunisair.
Et de noter que les cas signalés à la justice portent notamment sur des abus de pouvoir et des actes de malversation pour obtenir des avantages nuisant à la gestion de la compagnie aérienne. D’ailleurs, on rappelle dans ce sens que cinq directeurs et deux ingénieurs travaillant à Tunisair avaient été interdits de voyage, selon ses dires, pour détournement de fonds publics.
Notre interlocuteur évoque également des soupçons de corruption au sein de Tunisair Technics, la filière de Tunisair chargée de l’entretien de la flotte, portant notamment sur le trafic de pièces de rechange. «En 2020, plusieurs cadres de Tunisair Technics avaient été arrêtés et placés en garde à vue pour trafic de pièces de rechange», rappelle-t-il, sans donner plus de détails, affirmant que plusieurs dossiers de corruption ont été transférés à la justice depuis plusieurs années, mais sont restés sans suite.
La Gazelle peut s’envoler dans le ciel
Même si le transporteur national croule sous les dettes et de grosses affaires de corruption, il peut dépasser cette difficile conjoncture, alors que ses principaux indicateurs commencent à s’améliorer. D’ailleurs, la compagnie a récemment publié ses indicateurs financiers pour le 4e trimestre de l’année 2023, pour donner un aperçu de ses états financiers à l’approche d’une nouvelle saison estivale. Les revenus du transport indiquent une performance globalement stable.
Les activités régulières et supplémentaires ont généré des revenus de 1.534,016 millions de dinars (MD), tandis que les charges d’exploitation, telles que les dépenses d’assistance commerciale, les frais aéroportuaires et les dépenses de carburant, s’élèvent à un total considérable de 1.340,507 MD. La Gazelle demeure, donc, dans une situation financière inconfortable, surtout si on rappelle le poids des dettes. En effet, avec un endettement s’élevant à 766,455 MD, la compagnie aérienne subit un fardeau financier significatif qui peut avoir des répercussions graves sur sa stabilité financière et sa capacité à investir dans le développement.
Cependant, selon les derniers indicateurs de l’année 2023 — Tunisair publie tardivement ses états financiers et ses indicateurs — le nombre de passagers a dépassé plus de 1,7 million de voyageurs durant l’année écoulée. Cette saison estivale s’annonce également prometteuse, de quoi espérer un léger mieux pour le transporteur national.
Renouvellement progressif de la flotte
Si la Gazelle rouge et blanc veut retrouver son éclat d’antan, il fait face à un problème chronique, le vieillissement de sa flotte qui n’est plus en mesure de répondre à la demande de plus en plus croissante de ses clients, notamment à la lumière de la reprise du secteur touristique. Autant le rappeler, la compagnie a lancé un programme de renforcement de la flotte, misant sur des contrats de sale and lease-back. En mai 2023, Tunisair a annoncé avoir reçu un premier avion de type Airbus A-320 TS-ITA, trois autres suivront dans les mois à venir. En août de la même année, Tunisair avait réceptionné un autre avion de type A320neo pour renforcer sa flotte. La compagnie a également accueilli trois avions A320neo en décembre 2021, février 2022 et octobre 2022.
En dépit de ces efforts visant à remettre à flot Tunisair, la flotte n’est pas toujours capable de répondre à la demande qui explose à la saison estivale. A titre de comparaison, Royal Air Maroc exploite une flotte de 53 avions dont un avion cargo. La compagnie aérienne marocaine a pour ambition de doubler la taille de sa flotte à 105 avions à l’horizon 2025 avec l’acquisition de 13 nouveaux avions long-courriers et des monocouloirs Boeing 737 MAX.
Actuellement, Tunisair fonctionne avec seulement 17 engins sur 35, alors qu’à un certain moment, seulement 10 étaient réellement opérationnels. D’ailleurs, le PDG de Tunisair, Khaled Chelly, a assuré que la compagnie est en voie de redressement, avec actuellement 17 avions en service. Un nombre qui devrait bientôt passer à 19. Deux autres avions en réparation devraient rejoindre le parc dans les prochaines semaines.