Tunisie-Tribune (l’échange historique de prisonniers) – L’échange « historique », jeudi en Turquie, de prisonniers entre la Russie, les Etats-Unis et des pays alliés européens est le fruit de mois de tractations secrètes et tendues conduites par Joe Biden, qui a placé la dernière pièce du puzzle une heure seulement avant d’annoncer son retrait de la campagne présidentielle il y a dix jours.
« Je ne raconte pas d’histoires: une heure tout juste avant que (le président) ne sorte ce communiqué (de retrait) il était au téléphone avec son homologue slovène pour l’exhorter à boucler les derniers éléments de l’accord et d’en finir », a raconté à des journalistes à la Maison Blanche un haut responsable américain.
La Russie et les Occidentaux ont échangé jeudi à Ankara 26 de leurs ressortissants, dont deux mineurs et le journaliste américain du Wall Street Journal Evan Gershkovich avec l’ancien Marine Paul Whelan, dans le cadre du plus grand accord de libération de prisonniers depuis la fin de la Guerre froide.
Les pays concernés sont du côté occidental les États-Unis, l’Allemagne, la Pologne, la Slovénie et la Norvège, face à la Russie et la Biélorussie.
Lors d’un point presse chargé en émotions, le président Biden, 81 ans et qui s’est retiré le 21 juillet de la course à un second mandat, a accueilli à la Maison Blanche les familles de MM. Gershkovich et Whelan, de l’opposant russe Vladimir Kara-Mourza et d’Alsu Kurmasheva, journaliste russo-américaine.
Elles ont pu s’entretenir depuis le Bureau ovale avec leurs proches tout juste libérés.
Relations exécrables
Mais le soulagement et les sourires n’ont pas caché les mois de tractations ultra complexes.
D’abord avec la Russie avec laquelle les Etats-Unis entretiennent des relations exécrables depuis plus de dix ans et surtout depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
Mais aussi avec l’allié allemand et son chancelier Olaf Scholz à qui Joe Biden a publiquement exprimé sa « grande reconnaissance » pour les « concessions importantes » dans ce grand compromis diplomatique.
Le locataire sortant de la Maison Blanche a remercié ses alliés européens et la Turquie pour avoir pris des « décisions courageuses et audacieuses ».
Car Berlin a laissé rentrer en Russie Vadim Krassikov, condamné en 2021 à la réclusion à perpétuité pour le meurtre en pleine capitale allemande d’un ex-commandant séparatiste tchétchène pour le compte des services de sécurité russes.
Et il n’en était au départ pas question pour l’Allemagne.
« Il a fallu que nous nous impliquions largement avec nos homologues allemands, à commencer par le président en personne », a reconnu le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche Jake Sullivan.
En visite à Washington il y a quatre mois, le chancelier Scholz fut interrogé par le président Biden pour savoir s’il avait changé d’avis, a raconté le responsable américain.
« Je le ferai pour vous »
« +Je le ferai pour vous+ », aurait répondu le chef du gouvernement allemand au « président américain qui s’est alors tourné vers Jake (Sullivan) pour lui dire +faîtes-le+ », selon ce même responsable.
La Slovénie a également libéré un couple d’espions russes, Artem Viktorovich Dultsev et Anna Valerevna Dultseva, arrêtés fin 2022 et dont les enfants avaient été placés en famille d’accueil. Ils sont les deux « mineurs » qui font partie des 26 personnes échangées.
Les négociations entre Washington et Moscou ont démarré en 2018, sous la présidence de Donald Trump, après l’arrestation de Paul Whelan.
La situation s’est sérieusement « compliquée » avec l’arrestation en mars 2023 du journaliste Gershkovich, a reconnu M. Sullivan.
Un autre responsable américain a aussi admis que les espoirs de ramener aux Etats-Unis le correspondant du Wall Street Journal et l’ex-Marine Whelan se sont vraiment amenuisés lors de la mort en février en détention dans des circonstances troubles de l’opposant russe Alexeï Navalny.
Jeudi à la Maison Blanche, entouré de familles heureuses et soulagées, devant ses conseillers et la presse, le président Biden a demandé de manière inattendue d’entonner un « joyeux anniversaire » en l’honneur de la fille de la journaliste russo-américaine Kurmasheva.