«Faire du numérique le principal levier de relance», interview de Mohamed Fadhel Kraiem réalisée par Hédi Mechri (L’EM)

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  • Il est à la tête de deux ministères. Et non des moindres, pleinement concernés et engagés dans la transition numérique, énergétique, environnementale et au-delà, économique.

  • Ministre des Technologies de la communication et de la Transition numérique, il cumule depuis plus de trois mois le galactique département de l’Agriculture par qui la croissance, la cohésion sociale et la stabilité arrivent.

  • Mohamed Fadhel Kraiem a été Interviewé par Hédi Mechri (L’EM)

Tunisie-Tribune (Faire du numérique le principal levier de relance) – Sous sa férule, son ministère a été à la pointe du combat contre la pandémie de la Covid-19. Il a pris part à toutes les applications et plateformes digitales – si ce n’est qu’il les a initiées – pour surmonter les effets du confinement et mettre en place les voies, voire les autoroutes numériques, pour assurer la continuité de l’activité et éviter l’asphyxie sociale. Fadhel Kraiem s’est vu confier de surcroît – à titre d’intérim – le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, laissé vacant. Plus maintenant, depuis qu’il est revisité, répertorié, diagnostiqué, mis en perspective par les nouvelles technologies et jusqu’à l’intelligence artificielle. Une chance pour un secteur en panne de modernisation, alors que le spectre de l’ALECA pointe à l’horizon.

Sur les transitions digitale et agricole, notamment sous son aspect de stress hydrique, le ministre aux deux sièges nous répond avec son assurance et sa franchise habituelles. Il décline, sans la moindre hésitation, sa double feuille de route pour les mois et les années à venir. Avec une précision d’orfèvre. L’intelligence artificielle et l’intelligence tout court sont passées par là… L’Interview dans son intégralité :

La digitalisation de l’Administration revient sans cesse dans le débat national comme la clé de voûte de la réforme de l’État. Vous avez vous-même initié un certain nombre d’actions à cet effet. Où en sommes-nous en matière de numérisation de l’Administration ?

La transformation digitale est au coeur de la réforme de l’État. Elle permet de repenser l’appareil administratif, à travers la réingénierie des processus et l’ancrage des principes de la gouvernance, à savoir essentiellement la transparence, la traçabilité, la redevabilité et la performance.

De par son caractère transverse et son rôle dans la réforme de l’Administration, la digitalisation est aussi un atout pour la simplification des procédures administratives, permettant ainsi d’offrir un service optimal à l’usager, à la hauteur de ses attentes. À cet effet, des avancées significatives ont été réalisées.

Certaines ont même été accélérées pour faire face à la crise sanitaire. La mise en place de la réforme de l’identifiant unique représente l’un des axes majeurs de cette effervescence : une réforme engagée, avec la promulgation du cadre juridique et réglementaire, ainsi que la mise en production du registre qui a permis de fiabiliser les données du citoyen, notamment lors de la distribution des aides sociales pendant la Covid. Nous travaillons, actuellement, avec le MALE (Ministère des Affaires locales et de l’Environnement) et le CNI (Centre national de l’Informatique) sur la mise en place de son système d’information de gestion.

Une autre réforme importante est celle associée à l’échange de données, avec la parution du décret-loi n° 2020-31 du 10 juin 2020, relatif à l’échange électronique des données entre les structures et leurs usagers et entre les structures ellesmêmes, et son décret d’application n°777 du 5 octobre 2020.

Ces textes fondateurs et révolutionnaires instituent le numérique comme pilier de la prestation du service public, et instaure le principe du « once only » par le biais de l’interopérabilité.

Ainsi, l’Administration n’a pas à demander à un usager de lui fournir une information dont elle dispose déjà, ou qui lui a été déjà fournie.

L’échange électronique des données a pu être matérialisé à travers la généralisation de l’Application Elyssa à l’ensemble de l’Administration centrale et des directions régionales associées. Cette application nationale de la gestion électronique des correspondances permet de dématérialiser le processus de gestion de courriers entre les institutions, et l’aligne avec les principes de la gouvernance. Dans ce contexte, le recours à la signature électronique généralisé permet de rompre avec les correspondances papier.

Comment ceci sera-t-il répercuté sur le citoyen, l’acteur économique ?

Il est important de signaler que l’Administration a initié l’application du principe de l’interopérabilité des systèmes d’information, en supprimant la demande de pièces telles
que l’extrait de l’état civil au citoyen et en le remplaçant par l’échange de données.

La mise en place de ces réformes permettra de supprimer au moins 5 millions de demandes d’extrait de naissance, notamment auprès des caisses sociales (en vigueur depuis octobre 2020) et bientôt pour les renouvellements de la CIN (Carte d’identité nationale) et des passeports.

D’autres actions sont en cours pour appliquer le même principe auprès d’autres institutions telles que l’ATTT (Agence technique des transports terrestres) pour le renouvellement de permis ou la demande de la carte grise lors de la cession de véhicules.

Nous poursuivons également le programme de digitalisation avec le lancement de projets aussi importants que la mise en place du portail citoyen, les plateformes E consulat, ainsi que les projets de rénovation des applications nationales (Insaf pour les RH, Madania pour la gestion de l’état civil, la refonte des applications de la gestion des finances publiques…), qui sont des projets d’envergure venant à soutenir les réformes structurelles de l’Administration : celle de la fonction publique et celle liée à la nouvelle loi organique du budget.

Par ailleurs, conscient de l’importance que revêtent les marchés publics dans la numérisation du secteur public, étant donné que pour accélérer le processus de la digitalisation, il est indispensable pour l’Administration de rénover son cadre
des achats publics, car souvent l’étape de passation de marchés est une étape chronophage, complexe, et ne tenant pas toujours compte des spécificités du Digital, le ministère travaille avec la HAICOP (Haute instance de la commande publique) sur un amendement du cadre des achats, pour mieux l’adapter aux besoins du numérique.

Le chantier de la transformation de l’Administration est bien engagé et notre ministère continuera à s’investir, avec ses différents partenaires, pour réaliser cette transformation, qui reste un chantier prioritaire pour le pays, mais qui demandera des efforts conséquents et du temps en matière d’accompagnement au changement.

Les avancées de l’IA, la robotisation, le raccourcissement et la relocalisation des chaînes de production, font que les avantages comparatifs peuvent être remis en cause. Quelles sont les politiques concrètes à mener en matière de transitions numérique, écologique et énergétique, à la lumière des nouvelles technologies ?

Les avancées technologiques s’accélèrent avec l’essor de technologies de rupture telles que l’IA (Intelligence artificielle), le développement de la robotisation, et offrent des applications diverses et variées dans différents secteurs économiques qui sont de nature à redéfinir les modèles économiques, les modèles de production, et à optimiser les ressources qui deviennent de plus en plus rares. Elles offrent des moyens puissants pour s’adapter rapidement à des changements de contextes tel celui de la crise de la Covid-19, dont la gestion a largement fait appel aux nouvelles technologies dans tous les pays du monde.

Le numérique constitue aujourd’hui le principal levier de relance pour la Tunisie et peut proposer un nouveau modèle de croissance, plus inclusif et plus équitable.
Il tire son opportunité de la flexibilité que nous observons aujourd’hui dans le secteur, que ce soit en termes de cycle de vie des technologies ou d’acteurs économiques.

En effet pour ce qui est des premiers, les technologies sont devenues aujourd’hui très volatiles et leur cycle d’évolution est très rapide. Il en résulte beaucoup de disruption non seulement sur le secteur du numérique, mais également sur les autres secteurs
de l’économie (transport, santé…).

Quant aux seconds, l’observation des évolutions des capitalisations boursières révèle que le top 10 est principalement composé de nouveaux acteurs, apparus lors des 10 ou 15 dernières années.

Ce cycle permanent d’évolution rapide, qui fait augmenter le degré d’obsolescence des technologies, fait aussi évoluer les usages et crée un foisonnement de nouvelles opportunités et de menaces. Il est donc nécessaire de faire des choix ( fail fast, investissement…) pour suivre l’évolution des tendances et les orientations des marchés.

Et le positionnement de la Tunisie…

Le positionnement technologique de la Tunisie à l’horizon 2025 sera appuyé par le développement des différentes technologies. Lesquelles présentent le potentiel de développement le plus important, ainsi qu’un timeline de maturité, aligné à l’agenda de la stratégie digitale 2025 (une moyenne de 5 ans).

Nous citons d’abord, l’intelligence artificielle. Pour tout vous dire la région Europe Middle East & Africa -EMEAconnaîtra un TCAM (Taux de croissance annuel moyen) de 24,8% entre 2019 et 2024, porté principalement par l’Europe occidentale, contre une participation limitée de l’Afrique.

Ceci présente à la Tunisie une opportunité majeure pour développer l’IA et se positionner comme le Hub de l’Afrique. Le développement de cette technologie est un levier pour la
Tunisie, afin de se positionner dans le radar technologique international comme étant un tech provider.

Ensuite, la BIG Data & Analytics (BDA) connaît de son côté une croissance significative et représente un prérequis pour plusieurs autres technologies (RPA, IA, Machine Learning).

Sur la région EMEA, les revenus BDA sont passés de $17.7 milliards en 2019 à $23.9 milliards en 2025 (TCAM = 6,2%), représentant 23,48% des revenus mondiaux en 2024 et confirmant la tendance internationale de l’émergence de la BDA, comme un vecteur de développement des entreprises.

Le développement de cette technologie en Tunisie représente une opportunité pour se positionner en tant que Hub Data régional. Également, la Tunisie gagnerait à considérer l’utilisation de la blockchain, qui enregistrera une croissance significative sur les années à venir (croissance de 66,4% d’ici 2025).

Enfin, une progression considérable de la Cybersécurité s’est davantage imposée, en raison des défis sécuritaires que posent les nouvelles technologies.

Afin de garantir un positionnement technologique pérenne et confirmé sur la chaine de valeur mondiale, une démarche basée sur quatre axes clés : Capital Humain, Infrastructure, investissement et cadre réglementaire, sera déclinée sur plusieurs initiatives.

À titre d’exemple : l’observatoire de l’économie numérique et de l’avance technologique, la mise en place des mécanismes financiers d’appui à la R&D et à l’innovation : crédit d’impôt recherche / innovation, la mise à niveau et alignement des cursus de formation existants pour y inclure les technologies émergentes, le déploiement d’une stratégie nationale pour l’IA et la Blockchain.

Une nouvelle économie est en train d’émerger, avec pour noyau central des startups assez prometteuses. D’ailleurs, durant la crise sanitaire, les restrictions imposées ont joué le rôle d’accélérateur à cet effet. Y a-t-il des mesures spécifiques – financières ou fiscales – les concernant pour accélérer leur création et promouvoir leur développement ?

La Tunisie, identifiée comme « un berceau de l’innovation pendant la crise Covid-19 » selon le rapport d’Oxford Business Group, n’a pas d’autre choix que de mettre en avant son potentiel, et notamment son capital humain, pour soutenir l’innovation et implémenter les solutions dans des domaines aussi vitaux et stratégiques que la production et la maîtrise de l’énergie, l’agriculture, la médecine, ou encore l’écologie.

En la matière, la stratégie startup Tunisia est un des mécanismes qui démontrent l’engagement de l’Etat dans le soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Il constitue un cadre complet : juridique, institutionnel et d’instruments d’accompagnement financier pour la création de startups.

Nous sommes convaincus de la nécessité de rénover notre modèle économique, au vu de ce qui se passe dans le monde et au vu de notre capital humain de qualité. Nous misons ainsi sur une économie basée sur l’innovation et l’entrepreneuriat startup, qui génère des solutions innovantes et à forte valeur ajoutée. Dans cette démarche d’encouragement de l’investissement et de l’entrepreneuriat, nous avons mis en place un cadre réglementaire pour créer un terrain favorable au développement de l’écosystème startup : le Startup Act, entré en vigueur en avril 2019, a permis la labellisation de plus de 475 startups parmi 830 demandes.

Le Startup Act a permis à la Tunisie d’être le porte-drapeau des startups africaines, dans le cadre de l’Alliance Smart Africa. D’autre part, nous avons mis en place un cadre d’appui pour le financement et l’accompagnement des startups et de l’écosystème startup et ce à travers le Fonds de Fonds ANAVA, le premier fonds de fonds en Tunisie, qui reflète la volonté du pays de soutenir les startups et les investissements du secteur privé et de développer un écosystème dynamique de startups sur un horizon de dix (10) ans.

Pour ce faire, le fonds de fonds injectera des capitaux importants dans l’écosystème du capital-risque, afin de développer de manière significative l’investissement dans les startups. Le premier fonds de fonds dédié aux startups en Tunisie et en Afrique, libellé en devise étrangère (euro), offre la possibilité aux fonds sous-jacents d’investir en Tunisie et à l’étranger. Il s’agit d’une solution aux problèmes de financement et d’internationalisation
des startups en Tunisie.

L’objectif est de lancer plusieurs fonds de capital-risque (child funds) dédiés aux startups tunisiennes, qui investiront à chaque stade de développement des startups, à savoir les phases d’amorçage, de démarrage et de post-démarrage.

D’une taille cible de 200 millions d’euros, avec un premier closing de 40 millions d’euros souscrits entièrement par la Caisse de dépôt et de consignation (CDC) à travers le financement de la Banque mondiale, le fonds de fonds est géré conformément aux meilleurs standards internationaux. Le retour d’expérience de startup Tunisia fournira des éléments pertinents et très bénéfiques pour améliorer cette dynamique.

Comment jugez-vous, M. le Ministre, cette évolution ? Serait-ce l’amorce d’un nouveau modèle de développement ou l’opportunité de revitaliser notre appareil productif ? Y a-t-il une politique dédiée à cet effet pour faire face au nouveau monde qui arrive ?

Cette évolution offre à la Tunisie de nouvelles opportunités et un nouveau levier de développement socio-économique durable et inclusif. Comme je l’ai déjà dit, la Tunisie dispose d’atouts significatifs à l’échelle régionale et se retrouve en départ lancé.

Aujourd’hui, les startups portent en elles ces évolutions, elles sont nées avec, je veux dire, la focalisation sur la valeur ajoutée apportée à l’utilisateur, le lancement rapide de produits et essais successifs pour proposer ce qui correspond le mieux, la fluidité de l’expérience, l’organisation légère et les organigrammes aplatis, la facilité à prendre appui sur l’environnement extérieur… Elles vivent en réinvention permanente, stimulées par le mouvement et la possibilité de se confronter à de nouveaux défis.

À terme cependant, ce sont toutes les entreprises qui sont concernées. Ceci permettra de revitaliser et redynamiser l’ensemble du tissu économique tunisien. Nous avons identifié, dans le cadre de notre stratégie, les secteurs économiques les plus impactés par cette évolution.

D’abord, les secteurs manufacturiers «industries mécaniques et électriques » et « industries agro-alimentaires » présentent un fort potentiel de développement et d’entraînement à travers les nouveaux outils de l’industrie 4.0.

Ensuite, l’agriculture qui est un important secteur de l’économie tunisienne. Par ailleurs, ce secteur connaît une véritable révolution digitale permettant d’améliorer la productivité des récoltes. J’ajouterais que le secteur financier tunisien n’a pas encore tiré suffisamment parti des nouvelles opportunités de développement offertes par le digital.

Sa transition est une condition essentielle pour accompagner la transition de l’économie et de la société tunisienne. Enfin, la crise sanitaire liée à la Covid-19 ainsi que les défis du secteur sanitaire tunisien ont réaffirmé la nécessité d’exploiter les nouvelles technologies pour une meilleure prise en charge des patients et une meilleure qualité des soins, ainsi que pour l’amélioration de la gouvernance des établissements de soins et d secteur sanitaire en général.

L’écosystème des startups tunisien jouera un rôle primordial dans la redynamisation de ces secteurs, à travers leur apport d’innovation et d’agilité. Pour y parvenir, nous envisageons la mise en place d’un mécanisme de mise à niveau 2.0 destiné aux opérateurs industriels afin de renforcer la compétitivité ainsi que les positionnements du secteur industriel.

Il permettra également de moderniser l’outil productif, d’améliorer la productivité et de mettre à niveau les standards de sécurité de notre industrie. Enfin, je suis convaincu qu’il contribuera à stimuler la demande des industriels vers les startups et les prestataires locaux de solutions numériques, innovantes.

Il y a très peu d’entreprises industrielles de plus de 10 employés, et moins encore d’entreprises de taille intermédiaire et de grandes entreprises, au regard de notre potentiel de développement. Y a-t-il espoir – ou volonté – de rattraper notre retard, en mettant le cap sur l’économie de la connaissance, avec comme têtes de ponts les startups ?

L’une des premières préoccupations du gouvernement est celle de la relance économique, qui s’appuie en partie sur l’économie du savoir et de la connaissance, pour laquelle la Tunisie a démontré ses atouts durant les dernières années et qui peut être un catalyseur pour l’ensemble des secteurs dans une logique de croissance économique durable et de création d’emplois. Positionner les startups en têtes de ponts peut répondre à cette préoccupation et a pour finalité de créer un terrain propice à l’innovation et donc de stimuler l’économie.

Les initiatives de type Startup Act ont démontré leur valeur et leur intérêt en amorçant la création d’un écosystème dynamique et innovant. Il est cependant important aujourd’hui de consolider ces acquis et de continuer à construire dessus en ouvrant la possibilité à cet écosystème de perdurer et de continuer à se développer de façon solide et durable.

Continuer à appuyer ces jeunes qui innovent et qui investissent pour leur pays est un enjeu stratégique et prioritaire de notre gouvernement. C’est la Tunisie créative, innovante et dynamique que nous souhaitons soutenir.

En ce sens, il faut continuer à investir dans les talents en développant des mécanismes de rétention en Tunisie (le pays souffre aujourd’hui de l’immigration des cerveaux) et en généralisant les démarches d’Up Skilling et de Re-Skilling, afin que l’économie de savoir et des connaissances continue à se développer et à s’alimenter en talents. D’autres initiatives seront portées également par l’État pour accompagner nos entreprises à se développer :

• Faciliter l’accès aux startups et aux PME aux marchés publics, en simplifiant et en adaptant les procédures d’achats publics de l’Administration.
• Promouvoir les entreprises tunisiennes à l’international, en renforçant la diplomatie économique pour donner accès à ces entreprises à des marchés plus grands que le marché tunisien.
• S’appuyer sur un réseau d’ambassadeurs à l’international de la diaspora pour ouvrir les portes aux entreprises tunisiennes.
• Renforcer les initiatives pour promouvoir l’export tunisien et améliorer le cadre réglementaire associé.

Pour faire face à ces différents défis, nous avons fait le choix, pour l’élaboration de la stratégie numérique 2021-2025, de dédier un axe spécifique à la formation et à l’emploi dans le secteur, visant à adapter la formation aux besoins et exigences du secteur et aux orientations stratégiques en termes de choix technologiques.

Le plan de relance de l’économie s’inscrit-il dans une vision d’avenir en privilégiant les industries 4.0 ?

Durant les dernières années et surtout avec la pandémie de la Covid-19, le pays connaît l’une de ses périodes les plus difficiles, aussi bien sur le plan économique que social.

L’épreuve de la Covid a eu des conséquences économiques immédiates et inédites. Mais toute crise présente, dans son lot, des opportunités qu’il faut savoir détecter et activer. Il devient urgent d’entrer aujourd’hui dans une nouvelle phase : celle de la relance et de la reconstruction pour surmonter la crise la plus grave de notre histoire moderne et pour éviter que ne s’installe un fléau, celui du chômage de masse et surtout des diplômés, dont notre pays a trop souffert. Nous souhaitons que notre plan de relance soit non seulement inclusif, solide et durable, mais surtout intelligent.

L’industrie 4.0 représente un axe smart qu’il est primordial effectivement de dresser et de maîtriser. Cette smart production constitue indéniablement une promesse de la quatrième révolution industrielle que la Tunisie se doit de franchir : séduire les consommateurs avec des produits uniques et personnalisés, en leur permettant de communiquer avec les machines durant les phases de réalisation.

Ainsi, l’industrie 4.0 est l’un des projets clés concernant les hautes technologies, qui encourage la révolution numérique des industries. Nous assistons à la convergence de la production industrielle avec les technologies de l’information et de la communication. Ce concept exprime l’idée que le monde se trouve aux prémices d’une quatrième révolution industrielle.  Elle est fondée sur l’usine intelligente, qui se caractérise par une interconnexion des machines et des systèmes au sein des sites de production, mais aussi entre eux et à l’extérieur (clients, partenaires, autres sites de productions).

Par ailleurs, avec la pandémie, les différents pays, occidentaux surtout, ont fait face à l’ampleur de la dépendance de leur chaîne d’approvisionnement et de production de pays tels que la Chine et les États-Unis et autres pays producteurs.

Dans cette perspective, la Tunisie disposera d’une opportunité pour se positionner comme une solution alternative pour la relocalisation des industriels européens, dont le secteur d’activité est l’industrie 4.0. Ceux-ci ne cherchent plus aujourd’hui seulement la proximité géographique, mais également une plateforme technologique intégrée qui permettra de supporter leur industrie intelligente. Afin d’attirer ces investisseurs dans ce segment et d’être compétitif à l’échelle internationale, il est important de faire évoluer le tissu industriel et de le digitaliser.

Forte de ses atouts multiples, la Tunisie est appelée à mettre en exergue son potentiel multidimensionnel pour répondre à une nouvelle exigence économique. Dans ce sillage, notre ministère soutient cette orientation, à travers notamment le renforcement de l’infrastructure numérique.

En effet, plusieurs actions sont entreprises dans ce sens, à l’instar de la mise en place de la 5G, d’ici fin 2022 en Tunisie. Cette technologie constitue un socle technologique nécessaire à l’essor de l’industrie 4.0 et au développement de ses usages. D’autre part, nous n’insisterons jamais assez sur l’importance que revêt le rôle du capital humain dans le drainage des investisseurs en matière d’industrie 4.0. Le développement des compétences constitue un pilier de la stratégie du développement numérique du pays, qui mérite d’être appuyé.

Monsieur le Ministre : Vous assurez l’intérim du ministère de l’Agriculture. Un vrai poids lourd, de très grande importance, un ministère de souveraineté pour ainsi dire. L’agriculture doit à la fois nourrir le pays, dégager des excédents à l’export, assurer notre sécurité nationale, notamment en matière d’aménagement du territoire et de cohésion sociale (dépeuplement)…

Elle accuse de surcroît un énorme retard en matière d’avancées des techniques culturales ; ses rendements sont des plus faibles. Le mariage technologie agriculture, même de courte durée, sera-t-il assez fécond ? Laissera-t-il des traces bénéfiques pour l’essor du secteur qui appréhende les retombées de l’ALECA ?

De par sa contribution à l’économie nationale (10% du PIB au cours de la période 2016-2020), au développement des exportations (12% de la valeur des exportations), à la création de l’emploi (14% des offres d’emploi en plus d’environ 60.000 pêcheurs) et à la dynamisation des économies des territoires ruraux, le secteur de l’agriculture et de la pêche est clairement placé au centre des préoccupations du gouvernement.

En maintenant ce niveau de performance pendant la crise de la Covid-19, le secteur a révélé une certaine résilience et a pu assurer un approvisionnement relativement régulier des marchés en produits alimentaires. Classée 59ème sur 113 pays, la Tunisie garde un niveau d’indice global de sécurité alimentaire respectable, mais toutefois fragile, car vulnérable aux changements climatiques et dépendant des marchés mondiaux des produits de base (céréales et aliments de bétail notamment).

Quels sont les objectifs du ministère ?

Le ministère de l’Agriculture vise, au cours de la prochaine période, à oeuvrer en priorité pour valoriser des ressources naturelles, protéger des paysages et la biodiversité et atténuer des effets des changements climatiques sur le secteur. Il s’engage aussi pour le développement de la compétitivité des filières agroalimentaires et la promotion de la qualité.

Il est également important de renforcer des mesures au profit des petits exploitants, des jeunes et des femmes. Enfin, une autre priorité est la modernisation du secteur, à travers l’adoption des énergies alternatives et une meilleure pénétration des technologies numériques au niveau de l’investissement, de l’Administration et des services publics, du dispositif de recherche, de la formation et de la vulgarisation.

Sur ce dernier point, je ferai de sorte que mon passage au ministère de l’Agriculture puisse jouer le rôle de catalyseur vers la transformation numérique et vers l’appropriation des solutions digitales, afin d’améliorer la productivité et la qualité et d’optimiser l’utilisation des ressources.

Autre composante essentielle du ministère de l’Agriculture, les ressources hydrauliques qui posent aujourd’hui problème, compte tenu de notre stress hydrique. Le ministère a-t-il un plan de gestion de l’eau, notamment dans le secteur agricole ?

Que faire pour éviter, à moyen et long termes, les pénuries d’eau avec les conséquences que cela provoque à tous les niveaux : secteurs d’activité et ménages ?

En Tunisie, l’eau est une ressource rare, mal répartie et vulnérable. Aujourd’hui, elle est au centre de multiples défis stratégiques. Le pays cumule des situations problématiques
contrastées. Nous notons que les ressources sont inégalement réparties entre les régions : le nord, qui occupe 30% du territoire, produit 80% des ressources. Il a recours à une infrastructure de transfert vers les zones déficitaires. En outre, rapportées à la population tunisienne, les ressources en eau par tête sont encore plus révélatrices, avec moins de 450 m³/ an par habitant, soit sous le seuil de la pénurie. Le stress hydrique a évolué depuis l’année 2000, sous l’effet

d’un ensemble de facteurs liés notamment aux caractéristiques hydrométéorologiques de l’année hydrologique, aux superficies irriguées et cultivées (évolution de la consommation en eau pour l’agriculture irriguée), au mode de gestion des ressources en eau adopté, etc.

Cette situation de « pénurie » exacerbée par les changements climatiques – CC– a
des conséquences lourdes, particulièrement sur la sécurité alimentaire et sur le développement économique du pays.

Ainsi, de très grands investissements sont encore consentis dans le cadre des projets programmés ou en cours de réalisation tels que la construction de nouveaux barrages et réservoirs, le renforcement des systèmes de transfert des eaux et d’interconnections des barrages, le dessalement des eaux saumâtres et des eaux de la mer, la modernisation des périmètres irrigués, etc.

En effet, la politique nationale de gestion de la ressource vise en priorité une gestion rationnelle et optimisée de la demande dans ses utilisations majeures pour l’irrigation et l’eau potable.

Cette gestion de la demande commence aujourd’hui à se mettre en place, notamment avec l’instauration depuis 2 années consécutives, d’un plan de gestion de la demande de l’eau d’irrigation à moyen terme, au niveau des barrages du nord, permettant de garantir une allocation stable pour les périmètres irrigués, en évitant le recours au rationnement sévère.

Cette ambition sera prochainement consacrée et développée dans le cadre d’une politique basée sur les priorités suivantes : révision du cadre juridique (code de l’eau en cours), renforcement de la protection des ressources en eau (surexploitation, pollution, envasement), valorisation du m3 d’eau par les agriculteurs moyennant une tarification adéquate de l’eau, le pilotage de l’irrigation, les efforts de sensibilisation de formation et le recours aux nouvelles technologies valorisation des eaux usées traitées dont le volume actuel est de 284 millions de m3 par an.

Il sera de l’ordre de 500 millions de m3 par an à l’horizon 2050, une gouvernance plus perfectionnée de l’eau avec une perspective de décentralisation, une économie de l’eau (bleue, verte), protection des ressources en eau pour préserver leurs fonctions économiques, sociales et écologiques, prévention et maîtrise des risques dus aux effets des changements climatiques, notamment la succession de périodes de sécheresse et maîtrise de la consommation en énergie et promouvoir les énergies renouvelables.

    • Les plans d’actions à moyen et long termes comportent la réalisation de grands projets stratégiques :
    • Construction des barrages réservoirs Saida et Kalaa, et Mellègue amont.
    • Élévation du barrage Bouherthma.
    • Renforcement du système de transfert d’eau à Bjéoua, Belli, Sahel et Sfax.
    • Construction et équipement de stations de dessalement de Sousse, de Sfax, de Zarrat et de Kerkennah.
    • Promotion et recours aux ressources en eau non conventionnelle : dessalement et valorisation des eaux usées traitées.
    • Prévention et maîtrise des risques dus aux effets des CC, notamment la succession des périodes de sécheresse.
    • Maîtrise de la consommation en énergie et promotion des énergies renouvelables. Notons enfin qu’une étude de l’eau à l’horizon 2050 est lancée depuis mai 2019 et qui s’achèvera fin 2021.

Cette étude a pour objectifs :

    • La sécurisation de l’eau potable pour chaque Tunisien, en quantité et en qualité.
    • La sécurisation de l’eau pour les secteurs stratégiques travaillant sur la sécurité alimentaire.
    • L’adaptation au changement climatique et à la durabilité des ressources en eau et à leur environnement.
    • Le renforcement des compétences et capacités humaines et institutionnelles.
    • L’intégration et la valorisation des nouvelles technologies et de la recherche scientifique pour la sécurité de l’eau.

Vous êtes engagés sur deux fronts aux multiples enjeux, deux principaux leviers de développement dont dépend le potentiel de croissance à l’avenir. Le ministère de l’Agriculture – surtout en période de Ramadan – vous laisse-t-il le temps de développer votre vision et mener votre politique en IT ?

La digitalisation du secteur agricole accuse un retard en Tunisie, malgré les avantages que ces technologies peuvent procurer et malgré les incitations mises en place par l’État, au profit des investisseurs dans ce secteur : les expériences initiées en matière de recours aux nouvelles technologies dans l’agriculture, notamment l’utilisation des drones dans la surveillance des grandes cultures et la prévention des incendies, la gestion numérique des ressources hydrauliques, l’établissement d’une carte agricole selon les ressources en eau disponible, le recours aux données satellitaires pour compter les superficies cultivées et prédire les récoltes… Mais le chemin reste long pour pouvoir saisir les opportunités que présente la numérisation de l’agriculture dans le monde.

En Tunisie, les nouvelles technologies peuvent faciliter l’accès des agriculteurs aux connaissances sectorielles (météo, maladies animales, données climatiques…), renforcer les capacités des agriculteurs et optimiser l’efficacité et la durabilité environnementale. Il s’agit aussi, d’assurer la traçabilité des produits et la montée dans les chaînes de valeur de production, de renforcer le positionnement de la production nationale sur les marchés internationaux et de réduire considérablement les coûts.

À cet égard, et comme exemple, on peut citer l’initiative menée par l’INGC (Institut national des grandes cultures). En effet, une nouvelle approche d’apprentissage, participative et interactive, a été développée sur la base de la mise en oeuvre de plateformes couvrant toutes les zones bioclimatiques de la Tunisie.

Afin d’élargir le paquet technique et d’améliorer le savoir-faire et les pratiques des agriculteurs, de nombreux outils sont utilisés, tels que La technologie SMS (Short Messaging Service) comme outil d’amélioration de l’accès rapide des agriculteurs et des vulgarisateurs aux connaissances techniques et l’adoption des technologies, le développement d’une Application Mobile comme outil d’aide à la décision pour la surveillance de l’irrigation et la création d’un système expert de céréales.

Il y a aussi lieu de citer le plan d’action « Post Covid-19 », dont l’objectif est la « Digitalisation du MAPRH et le soutien à la digitalisation des systèmes alimentaires », projet mené en collaboration avec la FAO (d’un montant de 1 000 000 USD). Cette action prévoit la digitalisation du secteur et de l’Administration pour améliorer les services aux agriculteurs, à travers la mise en place d’un certain nombre d’actions à court, moyen et long termes.

À COURT TERME (6-12 MOIS) :
Numérisation des acteurs des chaînes de valeur, marché de gros, paiements électroniques, E-voucher pour la protection sociale. Analyses BIG DATA pour renforcer les services gouvernementaux stratégie, planification et suivi : identification des zones agricoles vulnérables, cartographie de la pauvreté, prédiction des rendements, identification de l’offre, goulots d’étranglement de la chaîne, alignement des politiques sur les prix des denrées alimentaires.

À MOYEN TERME (1-2 ANS) :
Une plateforme d’e-commerce pour les producteurs (petits et grands) et exportateurs à connecter avec les marchés de gros (Bir El Kasaa…), les marchés internationaux et directement avec le consommateur. Les plateformes de commerce électronique ont la capacité de relier plus efficacement les petits exploitants aux marchés et aux consommateurs. En éliminant les intermédiaires, il s’agit de mieux répondre aux
préférences des consommateurs et de développer une logistique efficace. Les plateformes électroniques peuvent augmenter les prix à la ferme et réduire les prix de détail et les pertes alimentaires.

À LONG TERME :
Parvenir à une Agriculture de précision : satellite imagerie, IOT, drones, systèmes de traçabilité numérique (principalement basés sur la blockchain), technologies de détection des aliments pour la sécurité alimentaire.

Tout en étant à la tête des deux ministères, dont les politiques publiques sectorielles sont déterminantes pour l’essor de la Tunisie, est un défi de taille. Pour cette raison, et tout en gardant le cap et surtout l’oeil sur le but à atteindre, notre atout majeur est d’être bien entouré et capable de fédérer des équipes performantes vers l’atteinte d’un but commun, dans une relation de confiance mutuelle. La création d’une synergie est un vecteur essentiel pour l’efficacité et l’efficience.

Source : Hédi Mechri / L’Economiste Maghrébin