Tunisie Tribune (Tribune de Synda Tajine) – Pendant que les citoyens s’entassent dans de longues files pour s’approvisionner en essence, on continue de leur expliquer que tout va bien.
Il n’existe pas de pénurie d’essence, affirme la ministre de l’Energie, mais une simple « perturbation », liée en grande partie à la frénésie de consommation des citoyens. Tout comme il n’existait pas de pénurie de beurre, sucre, lait, café, etc.
La même explication a, en effet, été donnée pour justifier l’absence produits de consommation des rayons. On ne peut parler de pénurie, c’est la faute du consommateur qui devrait apprendre à consommer. Encore une manière de cacher l’évidence.
Ces pénuries – appelez-les frénésie de consommation si vous voulez – interviennent en pleine année électorale. Evoquez les pénuries, on vous parlera des législatives, de la fraude des parrainages, des complots politiques… Là encore, le problème n’est pas là où il devrait être.
Kaïs Saïed continue d’ignorer le fond du problème et de rafistoler, bidouiller et arranger les textes de loi croyant qu’ils peuvent, seuls, tout arranger. Comment quelqu’un qui pense que tout passe par la législation peut-il se permettre de gribouiller des textes à la hâte, sans réfléchir à leurs retombées et sans se concerter avec ceux qui pourraient lui être de bon conseil ?
« la législation de l’État ne repose pas sur des accords antérieurement conclus avec certaines parties, mais sur les lois, les décrets, les arrêtés et les décisions », a affirmé le chef de l’Etat hier face à son ministre de l’Agriculture. Toujours le même discours depuis 2019 lorsqu’il avait soutenu, tout au long de la campagne électorale, qu’il n’avait aucun programme mais une vision qui lui permettra de doter le peuple des moyens législatifs pour faire entendre sa voix. Ce qu’il a fait.
Depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a mis en place son grand projet. Il a commencé par réécrire la constitution avant d’en arriver à la loi électorale. A chacune de ses grandes sorties, il se rend compte que ses changements, décidés trop hâtivement et beaucoup tro unilatéralement, n’obéissent pas à la réalité du terrain et qu’il faudrait les revoir. Corriger sa copie, arrondir les ongles, mettre de l’eau dans son vin et rectifier le tir. Voilà ce qu’il se retrouve acculé à faire à chaque fois, sans oser l’admettre de peur de se discréditer.
« Celui qui fait un pas en arrière en faveur de l’unité nationale n’est ni faible ni fautif. Il donne un signal de grandeur et de sagesse et rassure sur sa capacité à gérer un Etat », avait déclaré hier le SG de la centrale syndicale. Pourtant, Saïed refuse toujours de l’admettre.
Si Saïed fait souvent un pas en arrière et corrige son brouillon, il ne le conçoit pourtant pas comme une remise en question. Il en profite pour crier au complet et accuser les autres d’avoir touché à son plan, qu’il pense infaillible.
L’approche avec laquelle le chef de l’Etat gère l’Etat prouve qu’il est encore et toujours déconnecté de la réalité. Il l’avait prouvé en 2019 en étant incapable de présenter un programme concret. A la place, il avait lancé de grands principes qu’il souhaitait atteindre par la force de la loi. Le deuxième n’était pourtant pas réalisable sans le premier. En 2019, les Tunisiens s’étaient laissés tenter par ces grandes valeurs qui tranchaient avec les promesses électorales bien concrètes mais non réalisées d’une classe politique en majorité incompétente et véreuse. Aujourd’hui, tout ce dont ils ont besoin, ce sont des réalisations pratiques, réelles, palpables et respectant la réalité du terrain. Le temps n’est plus au lyrisme, ils n’ont plus ce luxe.
En parfait professeur de droit, Kaïs Saïed continue à privilégier une approche académique et à ne pas réfléchir, une seconde, à sa réalisation sur le terrain.
Comme l’écrit si bien l’excellent Zyed Krichen dans son édito d’hier : « cette approche, qui affirme que le texte est le garant de l’organisation de la vie politique, économique et sociale en Tunisie, se heurte à un obstacle majeur qui est celui des limites résultant de la méthodologie utilisée dans l’élaboration des textes, une méthodologie académique ». Cette méthodologie académique, loin d’être peaufinée à la réalité de la situation, se heurte souvent aux problèmes qui ne trouvent toujours pas de solutions.
Ne dit-on pas que « ceux qui savent faire, font; ceux qui ne savent pas faire, enseignent ». Si ceci ne s’applique évidemment pas à tous les enseignants – respects – ceci traduit parfaitement la méthodologie de Kaïs Saïed, un enseignant qui veut diriger un pays comme il dirigerait son amphithéâtre, qui croit que les lois peuvent être écrites et réécrites sans fond ni praticité. Le Jort n’est ni une copie d’examen ni un brouillon modifiable à souhait. Il est temps que l’enseignant cède la place à l’Homme d’Etat ou qu’il prouve qu’il peut être les deux à la fois. Pour l’instant, c’est loin d’être le cas…
- Tribune de Synda Tajine
- (Source : BusinessNews)