Dans le monde décarboné de demain, les experts projettent que notre consommation d’hydrogène (H2) sera largement supérieure à celle d’aujourd’hui. Ils tablent sur une multiplication des besoins par dix d’ici 2050. Un hydrogène qui sera nécessairement bas-carbone. Produit surtout par électrolyse de l’eau, à partir d’une électricité d’origine nucléaire, estiment certains, mais aussi renouvelable, assurent d’autres.
Les tenants de la production d’hydrogène grâce à l’électricité nucléaire avancent un argument de taille : la possibilité d’alimenter les électrolyseurs en continu. De quoi optimiser leur fonctionnement et éviter une dégradation prématurée de leurs performances. Mais les partisans de la production d’hydrogène à partir de sources renouvelables telles que le solaire ou l’éolien ont un plan pour contourner le problème de l’intermittence. Ils comptent installer des électrolyseurs en masse dans les pays qui jouissent notamment d’un fort ensoleillement. L’ambition affichée par le Chili, par exemple, est de produire, d’ici 2030, l’hydrogène vert le moins cher au monde. Grâce à des panneaux solaires photovoltaïques installés à l’entrée du désert d’Atacama et en y ajoutant des champs éoliens dans le sud du pays.
Se pose toutefois la question du transport de cet hydrogène. Selon les experts, en effet, le coût de ce transport figure en première ligne de beaucoup de modèles. Sur de très grandes distances, mieux vaudra transporter l’hydrogène par voie maritime. Sous forme liquéfiée ou incorporé à une autre molécule telle que l’ammoniac ou les « Liquid organic hydrogen carrier » (LOHC) dont il est de plus en plus question. Car ceux-ci permettent de se reposer sur les infrastructures pétrolières existantes.
Pour les distances un peu plus courtes, le transport par pipeline pourrait s’avérer payant. Mais la faisabilité doit encore être démontrée. Les exploitants gaziers n’estiment pas pouvoir supporter plus de 20 % d’hydrogène dans leurs gazoducs. Et convertir les infrastructures existantes à du 100 % H2 n’est pas trivial. Des problèmes de pressions variables liées à un flux variable — résultant d’une production au gré des intermittences solaires et éoliennes — ou encore de résistance des aciers du réseau actuel ont déjà été identifiés.
Un mégapipeline dédié au transport de l’hydrogène
C’est dans ce contexte que l’Afrique du Nord se prépare à construire, à l’image des gigantesques pipelines destinés à convoyer le gaz fossile, un hydrogénoduc — déjà baptisé « SoutH2-Corridor » — long de 3 300 km reliant notamment la Tunisie à l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne. Un accord vient tout juste d’être signé avec l’entreprise TE H2 — une joint-venture de TotalEnergies (80 %) et du groupe italien Eren (20 %) — associée à l’énergéticien autrichien Verbund pour l’étude de la phase 1 du projet.
L’idée : produire de l’hydrogène vert à partir d’eau de mer dessalée et de panneaux solaires photovoltaïques et d’éoliennes installés dans le sud de la Tunisie. Avec une puissance dédiée de 5 gigawatts (GW), les promoteurs visent un volume de production 200 000 tonnes d’hydrogène par an au démarrage. Puis jusqu’à 1 million de tonnes par an. Le tout pour un investissement qui devrait s’élever à quelque 6 milliards d’euros. Sachant que le projet, dans sa globalité, devrait s’étendre jusqu’en 2050 et est d’ores et déjà chiffré à pas moins de 40 milliards d’euros. La stratégie nationale sur l’hydrogène vert tunisienne, quant à elle, vise, à partir d’une capacité de 100 GW d’électricité renouvelable, une production d’environ 8,3 millions de tonnes H2 vert d’ici 2050. Dont seulement 2,3 millions de tonnes seraient destinées au marché national.