Tunisie-Tribune (La maternité des athlètes aux Jeux olympiques) – Pendant longtemps, concilier sport de haut niveau et maternité était difficile voire impossible. Mais depuis quelques années, à force d’engagement et de mobilisation de la part d’athlètes devenues mères et décidées à faire bouger les lignes, les codes du sport changent. Aux JO de Paris 2024, la maternité s’est même affichée fièrement.
Un arc bandé au-dessus du ventre rond de l’archère azerbaïdjanaise Yaylagul Ramazanova, l’escrimeuse égyptienne Nada Hafez enceinte de sept mois, la judokate française Clarisse Agbégnénou enlaçant sa fille de deux ans après avoir remporté le bronze…
Si le sujet était encore tabou il y a peu, les Jeux de Paris ont marqué un réel tournant dans la visibilité de la parentalité chez les athlètes, principalement les femmes, à qui l’on a longtemps fait croire que haut niveau et maternité étaient inconciliables.
Sport de haut niveau et maternité
En France, en 2021, l’enquête « Sport de haut niveau et maternité » commandée par le ministère chargé des Sports révélait que 69 % des athlètes interrogées considéraient « la maternité, pendant la carrière sportive, comme une véritable prise de risque dans le contexte d’un projet de performance à haut niveau ».
Par ailleurs, la plupart des sportives interrogées y déclaraient que la maternité était un sujet dont « on ne parle pas » (46 %) ou dont on parle seulement « parfois » (44 %) dans le milieu du sport.
Trois ans plus tard, les images parlent d’elles-mêmes. La maternité des athlètes n’est plus taboue. Que leur enfant soit dans les tribunes, ou dans le ventre de leur mère au moment des épreuves.
« J’ai senti mon bébé me donner un coup de pied avant de tirer cette dernière flèche, et j’ai fait un 10. » Après son épreuve de tir à l’arc, l’archère azerbaïdjanaise Yaylagul Ramazanova s’est confiée à l’agence de presse chinoise Xinhua : « Lors de ma préparation pour les Jeux olympiques, je ne me suis pas sentie mal à l’aise à cause de ma grossesse. Au contraire, j’ai senti que je ne me battais pas seule, mais que je me battais avec mon bébé. »
Le vent tourne pour les sportives de haut niveau, et l’image de Yaylagul Ramazanova n’est qu’un exemple de l’évolution qui s’opère autour de la reconnaissance des droits des athlètes à devenir mères quand elles le souhaitent, sans que cela ne soit synonyme de fin de carrière.
Dans un article du Guardian, la cycliste britannique Laura Kenny analyse « à quel point la vie des mères olympiques a changé », évoquant le témoignage de Denise Lewis – championne olympique d’heptathlon aux JO de Sydney en 2000 – qui avait été mise au placard dès l’instant où elle était devenue mère. « Après avoir donné naissance à sa fille Lauryn en 2002, on lui a dit que ses entraîneurs ne lui parleraient que lorsqu’elle serait de retour sur ‘la voie de la performance' », relate Laura Kenny.
Vingt-quatre ans plus tard, aux JO de Paris, sa compatriote Amber Rutter remporte l’argent au tir sportif, trois mois seulement après être devenue mère.
« Putain, trois mois après avoir accouché, je marchais à peine, alors à chaque fois que j’entendrai le nom d’Amber Rutter, je penserai : « Quelle mère, quelle femme ! », célèbre Laura Kenny.
Katy Marchant (cyclisme sur piste) et Rosalind Canter (équitation) en or, Helen Glover (aviron) en argent, Mathilda Hodgkins-Byrne (aviron) en bronze. Toutes mères, toutes médaillées olympiques.
« Le fait que les mères réussissent à ce niveau de sport est devenu une norme », se félicite Laura Kenny. « Ce qui contraste fortement avec la situation d’il y a dix ans. »
La situation des femmes athlètes face au dilemme « sport de haut niveau et maternité » n’a évolué que récemment
En 1991, « quand je suis tombée enceinte et que j’ai prévenu la fédération, j’ai perdu ma bourse olympique et mes sponsors. On m’a dit : ‘On verra quand tu reviendras.' » Sur le plateau de France 2, mercredi 7 août, l’ancienne athlète Maryse Éwanjé-Épée, aujourd’hui consultante, évoque un temps que les sportives mamans ne veulent plus connaître. Un temps – il y a plus de trente ans – où elle « arrivait avec [son] bébé sous le bras en salle de musculation », faute de solution de garde à l’Institut national du sport (Insep). Un temps pendant lequel celle qui a pourtant détenu le record de France de saut en hauteur, de 1983 à 2007, dit avoir été « complètement » rejetée.
En 2019 encore, la discobole française Mélina Robert-Michon racontait comment elle avait perdu son contrat avec son sponsor Nike après la naissance de sa deuxième fille, faisant écho au témoignage de l’Américaine Allyson Felix (sept fois médaillée d’or olympique et onze fois championne du monde) qui avait lancé un pavé dans la mare en révélant dans le New York Times la manière dont l’équipementier américain la traitait depuis sa grossesse.
« J’ai décidé de fonder une famille en 2018, sachant que la grossesse peut être le ‘baiser de la mort’ dans mon secteur », déclarait alors la championne, racontant la pression subie pour qu’elle revienne en forme au plus vite à l’entraînement après un accouchement difficile durant lequel sa vie et celle de son bébé avaient été en jeu.
- Après le tollé provoqué par les déclarations d’Allyson Felix, et celles des coureuses Alysia Montaño et Kara Goucher quelques jours avant elle, Nike a changé sa politique vis-à-vis des athlètes mamans sponsorisées.
Crèche olympique et allaitement
De son côté, retraitée depuis 2022, Allyson Felix a poussé son combat pour les mères et porté devant le CIO le projet de mise en place d’une garderie au sein du village olympique, qui a vu le jour pour les JO de Paris.
C’est désormais chose faite. Des jeux, des livres, une table à langer et un coin dédié à l’allaitement. Dans une vidéo postée sur Instagram, la joueuse australienne de water-polo Keesja Gofers a présenté l’espace où elle se retrouve parfois avec sa fille : « La toute première crèche olympique ! C’est très cool d’être l’une des premières athlètes à l’utiliser. »
Côté tatamis, Clarisse Agbégnénou continue de mettre en avant sa fille. Il y a deux ans, pendant sa grossesse puis après la naissance de sa petite Athéna, la judokate française a contribué à mettre la lumière sur la maternité des athlètes, continuant sa préparation physique jusqu’à deux jours avant l’accouchement, puis se battant pour pouvoir l’allaiter dans le dojo, poussant la Fédération internationale de judo a faire évoluer ses règles.
Pour les JO de Paris, Clarisse Agbégnénou a obtenu de pouvoir rejoindre sa fille dans un hôtel le soir pour pouvoir l’allaiter et dormir avec elle.
« Bravo Clarisse ! La médaille d’or est dans tes bras ! »
« Bravo Clarisse ! La médaille d’or est dans tes bras ! », écrivait sur X le footballeur français Antoine Griezmann – qui célèbre chaque médaille française sur le réseau social – dans un message accompagné d’une photo de la judokate (médaillée de bronze) tenant sa fille dans ses bras.
Pourtant, si les choses avancent, les athlètes ne demeurent pas encore pleinement sereines en ce qui concerne la place qui leur sera faite dès lors qu’elles choisiront d’être mères.
En témoigne l’histoire de la sabreuse égyptienne Nada Hafez, qui a fait sensation en révélant être enceinte de sept mois après son élimination en huitièmes de finale. Une grossesse que même son entraîneur ignorait – lui ayant cachée pour s’assurer de participer aux JO de Paris.
« Une olympienne enceinte de sept mois ! Ce qui vous apparaît comme deux joueuses en représente en fait trois ! C’était moi, ma concurrente, et mon petit bébé qui n’est pas encore arrivé au monde ! », a-t-elle écrit sur Instagram.
« Mon bébé et moi avons eu notre part de défis, qu’ils soient physiques ou émotionnels (…). J’écris ce post pour dire que la fierté remplit mon être d’avoir obtenu ma place en huitièmes de finale ! »
Source ; France24