E-commerce en Tunisie : Une révolution en marche ou un coup dur imminent ?

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Par Abdelkarim Benabdallah

Tunisie-Tribune (E-commerce en Tunisie) – Hier, en traversant la ville, j’ai pris une photo révélatrice : un grand panneau publicitaire de TunisiaNet, leader du e-commerce en Tunisie, côtoyant un panneau plus récent d’une publicité d’une banque, affichant la question : « Vous voulez payer en combien de fois ? » Une parfaite illustration de newsjacking, mais aussi un clin d’œil à un changement législatif qui bouleverse déjà le secteur.

Une loi qui change la donne

La nouvelle législation sur les chèques, qui entrera en vigueur le 2 février, vise à limiter les abus et renforcer la transparence des transactions. En apparence, cela semble positif, mais en réalité, cela frappe un secteur où plus de 50 % des transactions (voir plus) reposent sur la garantie par chèque, offrant des facilités de paiement aux consommateurs.

Dans les bureaux des leaders du e-commerce, il n’était pas rare de voir, en début de mois, des files d’attente pour restituer les chèques de garantie utilisés pour acheter des équipements ou des biens à crédit. Ce système, bien que loin d’être parfait, permettait aux consommateurs de contourner les contraintes des crédits bancaires classiques, souvent lourds et coûteux sans se soucier d’un taux d’intérêt.

Un impact immédiat

Avec cette loi, ces facilités disparaissent. Désormais, tout achat nécessitant un paiement échelonné devra passer par une banque, avec des conditions strictes : un compte bancaire, une preuve d’emploi, et bien sûr, un taux d’intérêt lié au TMM, actuellement supérieur à 8 % en Tunisie (le double des taux moyens dans d’autres économies émergentes).

Selon des acteurs du secteur, les conséquences se font déjà sentir. Les ventes ont chuté de 30 à 45 %, un coup dur pour un marché déjà fragilisé par :

  • La concurrence du circuit informel,
  • Les difficultés des paiements en ligne (frais de 2 % par transaction),
  • Un marché saturé, où les perspectives de croissance sont limitées.

Ces problématiques avaient déjà poussé des géants comme Jumia à quitter le pays, laissant un marché où les marges sont faibles et les défis nombreux.

Qui gagne, qui perd ?

Malheureusement, cette loi semble surtout profiter aux banques, qui se positionnent désormais comme des intermédiaires incontournables dans un système déjà compliqué. Les consommateurs, eux, devront faire face à des crédits plus chers et à une perte de pouvoir d’achat.

Quant aux acteurs du e-commerce, ils se retrouvent pris entre un cadre législatif contraignant et une économie où l’inflation pousse les consommateurs à chercher toujours plus de facilités.

Une vision à long terme nécessaire

Ce débat va bien au-delà d’une simple loi. Il pose la question de la place du système bancaire dans l’économie tunisienne. Devrait-il être un allié stratégique qui soutient le développement économique, ou un frein qui profite avant tout de la fragilité des entreprises et des consommateurs ?

Sans tomber dans une vision utopique, il est évident que le secteur bancaire doit repenser son rôle pour accompagner l’économie nationale. Un e-commerce fort est non seulement un moteur pour l’économie, mais aussi une solution pour réduire les inégalités d’accès aux biens et services.

Il est temps de réfléchir à des solutions qui équilibrent les intérêts de tous : banques, e-commerçants, et surtout consommateurs. Car sans cet équilibre, ce ne sont pas seulement les entreprises qui souffriront, mais toute une économie en quête de relance.

Par Abdelkarim Benabdallah