Tunisie-Tribune (construire l’avenir avec la gauche) – Nous reprenons ci-après, dans son intégralité, le discours de madame Hella Ben Youssef Ouardani, vice présidente d’Ettakatol et vice présidente de l’Internationale Socialiste des femmes, prononcé lors de la réunion du Conseil de l’IS qui s’est tenue à Barcelone (les 24-25 novembre 2017). Elle a appelé à réfléchir et à prendre la mesure des évolutions du 21ème siècle, sans oublier les idées et les idéaux qui n’ont jamais été aussi fondés au regard de la situation économique, sociale, sociétale et environnementale.
Hella Ben Youssef Ouardani : « …Je souhaite vous inviter aujourd’hui, à réfléchir sur notre avenir, nous socio-démocrates porteurs de l’idéal de société d’égalité et d’équité et de justice.
Nous avons sans doute été depuis plus d’un siècle, le cœur battant et les porteuses du progrès social dans plusieurs endroits de ce monde.
Aujourd’hui, le sommes-nous encore ?
A en juger par notre capacité à agir, c’est-à-dire par notre présence dans les différents gouvernements de ce monde, la réponse ne saurait-être pour nous satisfaisante.
Non, il ne s’agit pas de la loi des séries, ni de défaites électorales conjoncturelles qui pourraient s’expliquer par des éléments d’ordre tactique.
Lorsque nous sommes, en France, en Tunisie, ici en Espagne et dans d’autres pays, dans beaucoup trop d’autres pays, dans l’opposition, et minoritaires hélas dans les opinions, nous devons nous dire qu’il est question ici de quelque chose de structurel, de fondamental.
Nous devons réfléchir.
Notre position est clairement difficile oui. Elle est surtout dommageable pour les classes que nous défendons. Partout, leur situation est de plus en plus difficile. Le paradigme est ainsi énoncé :
Nos idées et nos idéaux n’ont jamais été aussi fondés au regard de la situation économique, sociale, sociétale et environnementale.
Mais ces mêmes idées et ce même idéal n’ont presque jamais été aussi peu porteurs dans l’opinion et en particulier, hélas, chez nos sympathisants.
Pire, nous sommes, en particulier en Europe et dans mon pays aussi (sans doute à tort) associés à des transformations qui ont conduit aux crises actuelles de nos sociétés.
Pour beaucoup, le socialisme raisonne en 2017, en parallèle avec le reniement, la capitulation, le renoncement, face aux grands défis de ce 21ème siècle.
Nous sommes associés à la privatisation, à la dérégulation, à la réduction des budgets de l’État, si ce n’est au statu quo. Ce qui pour un social démocrate est certainement encore pire. Et là où, en principe, le contexte devrait nous être favorable, nous avons été incapables de gagner les cœurs et des élections. Là où en principe, dans ce monde inégalitaire, sur cette planète-terre abusée, chez les classes moyennes exploitées, en principe donc, le socialisme devrait constituer l’alternative face aux politiques matérialistes et ultra-libérales.
En Europe, par exemple, la crise économique et sociale de 2008-2009 aurait du représenter un tournant qui montre les limites de la régulation marchande et le rôle IRREMPLAÇABLE de l’État régulateur à diverses échelles. Elle révèle également les limites d’un productivisme peu soucieux de ses impacts sur l’environnement et sur l’héritage à transmettre aux générations à venir…. Pourtant, nous n’en avons que si peu profité.
Mes chers camarades,
Oui c’est une crise de la sociale démocratie et il est du devoir de notre génération de la résoudre, comme il a été du devoir de nos pères fondateurs, voilà prés d’un siècle et demi de mettre en place l’organisation politique de la sociale démocratie ; comme il a été du devoir de la génération d’après-guerre de la mettre en pratique. Notre crise est structurelle et touche les fondements de notre action, de notre organisation, de la façon dont nous devons exprimer et traduire dans la pratique nos principes.
Nos fondements historiques, sont justement connus :
1. Organiquement, nous sommes un parti de masse reposant sur une base sociale large et enracinée dans la société civile, en particulier les syndicats des travailleurs ;
2. Nous somme porteurs de valeurs dont l’égalité, l’équité, la liberté, la solidarité et la démocratie et qui doivent être matérialisées par des réformes autours desquelles s’articule développement économique et développement social
3. des mécanismes de régulation des conflits misant sur la négociation, la conciliation et le compromis ;
4. un corpus programmatique qui a pour ambition de mettre en place des politiques économiques et des politiques sociales qui acceptent l’économie de marché et favorise l’économie mixte et l’action d’un État providence assurant la protection sociale ;
5. un positionnement dans une économie mondiale à partir de l’État-Nation de type colbertiste. Ce sont là, les bases de nos fondements et de notre engagement tel qu’il a fonctionné depuis presque un siècle et demi et en particulier durant les trente glorieuses.
Nos principes et nos idéaux de devront jamais changer, car c’est ce que nous sommes, et ce que nous devrons aujourd’hui et demain (ESSENTIELLEMENT) être. Mais notre crise, celle du monde, et les transformations qui touchent ce monde nous invitent à réfléchir, et à transformer nous même pour être au diapason de ce monde. Le comprendre afin de le changer. Notre défi est peut-être de la même ampleur que celui des pères fondateurs ; ou encore à celui des années 1920, lorsque nos prédécesseurs ont si courageusement rompu avec le communisme pour choisir la démocratie. Sortir des trente douloureuses. Voilà le défi de notre de notre génération.
Notre défi est difficile mais nous devrions le relever.
Les bases de notre refondation sont, je le pense, au nombre de 4 points :
Premièrement, face à la crise des parties de masse (qui n’est pas une crise générale de la forme partisane) nous devons travailler d’arrache pied à la mobilisation des adhérents, des sympathisants. Nous devons construire des plateformes d’alliance. Nous devons revenir aux bases du travail partisan et du terrain. Car nous sommes (osons les mots) la sociale démocratie du peuple pour le peuple par le peuple.
Nous devons avoir des structures partisanes démocratiques capables organiquement de faire porter par leur leadership la voix des militants et ce qui constitue de facto notre vision de long terme car cela incarne notre idéal. Nous devons aussi nous ouvrir aux associations de la société civile et aux personnalités indépendantes et sans appartenance partisane. Nous devons être le moteur d’une dynamique et être le maître d’œuvre d’un éco-système au centre gauche.
Deuxièmement, nos principes sont nos repères et notre boussole. Ils permettent de nous situer et de nous donner un cap. Ils permettent d’identifier ce qui est pour nous non négociable et ce qui est de l’ordre de l’acceptable, et pouvant faire l’objet d’un compromis. Ces principes doivent faire l’objet d’une réflexion non pas pour une remise en cause, mais afin de mieux les comprendre à la lumière des changements du monde.
Nous avons l’obligation d’éviter les bricolages faits dans les années 1990 et qui s’étaient d’ailleurs manifestés par une variété de projets différents, parfois bons et parfois moins bons, à une approche parfois naïve des mécanismes marchands, une vision idyllique et une acceptation par trop facile du caractère vertueux du marché. En tout état de cause, nos principes ne peuvent être crédibles que sous la condition sine qua non d’une prise de position ferme, claire et assumée au niveau des propositions d’ordre programmatique. Nous avons l’obligation de dire le changement, de le prononcer et de tabler sur des réformes radicales et transformatrices et permanentes et crédibles, tout en évitant la surenchère et les fuites en avant ainsi que les ruptures des approches révolutionnaires.
Troisièmement, au niveau de notre rôle de régulation des conflits, du compromis, de la négociation et de la concertation, nous devrions avoir une compréhension plus globale. Nous avons surtout agit au niveau du conflit inhérent entre le capital et le travail ; lequel conflit reste toujours d’actualité.
Cependant, nous devons aujourd’hui comprendre que sa forme a changé : dans son contenu, devenu au fond plus « conflictuel » ; dans sa forme devenue plus diffuse, en l’espèce plus « soft » ; et paradoxalement dans la conscience collective de ce conflit là bien qu’il soit devenu plus profond. Nous devons rompre donc avec notre approche classique quant à notre vision de ce conflit ; car nous apparaîtrions sinon comme les défenseurs d’un statu quo aujourd’hui inopérant et superflu en pratique. Nous devons par contre cette opportunité politique qui nous est donnée suite à la crise de 2008 afin de démontrer les limites de l’approche libérale et de bâtir de nouveaux compromis sociaux.
De tels compromis ne seront encore une fois possibles que dans la mesure où notre compréhension des paradigmes sociétaux changent et évoluent.
Il n’est plus question aujourd’hui du conflit capital-travail tel qu’il a été énoncé au milieu du 19ème siècle.
Il est question par contre de parler aujourd’hui du développement durable qui est le paradigme sociétal par excellence autour duquel nous devons travailler.
Il ne s’agira pas alors d’un concept en soi ni d’une version faible, sorte de patch-work isolé, d’une ligne dans un programme électorale ; mais bel et bien d’un concept à la fois urgent et utile autour duquel nos principe d’égalité de justice et de liberté devront être redites dans une sémantique nouvelle.
D’autant que le développement durable est aujourd’hui plus que jamais légitime, ce qui nous donnera une légitimité nécessaire
Quatrièmement, nous devons être conscients que la mondialisation a mis à mal le concept d’Etat nation westphalien dans sa compréhension classique et que le présent se construit aujourd’hui avec des blocs et des approches transnationales. Nous devons continuer d’agir, comme nous le faisons aujourd’hui, de façon mutuelle, en adéquation avec nos principes universalistes d’ailleurs. Non pas pour coordonner nos ambitions à l’échelle nationale, mais pour agir, précisément, pour renforcer ces blocs dans lesquels nous devons être actifs et influents.
Les blocs sont les leviers de la sociale démocratie d’aujourd’hui, comme l’Etat Nation le fut il y a un siècle.
Mes chères camarades, comme je le disais au début, je ne suis pas venu ici pour vous donner des recettes de cette refondation si nécessaires. Mais pour vous inciter, nous inciter toutes à la réflexion. Ce sont là des débuts de piste de réflexion dans un long chemin de débat et de belles discordes, débat qui devra nous réunir ensemble et au bout duquel nous devons trouver, impérativement, notre salut, notre vigueur, notre splendeur. »