Une IA de Huawei termine en fanfare la symphonie inachevée de Schubert

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  • Tunisie-Tribune – L’entreprise chinoise, Huawei actuellement sur la sellette en Europe et aux Etats-Unis, a organisé un concert lundi soir à Londres au cours duquel elle a présenté une fin pour le moins déstabilisante de la symphonie inachevée de Schubert.
  • « Là où j’ai cherché le bonheur, j’ai trouvé la douleur, là où j’ai cherché la douleur, j’ai trouvé le bonheur », aurait dit Schubert. Etrange choix de la part de Huawei que la Symphonie inachevée, la n° 8 (1822), pour présenter ce dont la firme chinoise est capable en matière d’intelligence artificielle (IA).

Lundi soir l’équipementier télécoms organisait à Londres un concert qui proposait de continuer et terminer l’oeuvre au moyen d’un logiciel d’apprentissage automatique (« machine learning »). Un projet qui a duré environ 9 mois.

« Nous avons nourri le logiciel de données et nous avons laissé l’IA les analyser pour savoir comment les choses se mettent ensemble », explique Arne Harkelmann, responsable innovation chez Huawei.

La machine a digéré 90 morceaux de Schubert et quelques autres de ceux qui ont influencé le compositeur viennois – la liste n’a pas été précisée. « Si des humains voulaient, non seulement écouter toute sa musique, mais aussi la comprendre, puis essayer de trouver des similitudes et des différences, ça prendrait un temps très long, continue Arne Harkelmann. Avec l’IA, vous avez la beauté d’un outil qui peut aider les gens à raccourcir cette analyse ».

Deux mouvements de plus

Le logiciel a ensuite produit des passages qui ont été sélectionnés et orchestrés par le compositeur américain Lucas Cantor. Quelle fin donneraient-ils donc ensemble à l’oeuvre préromantique, traversée par des tempêtes tragiques et de moments paisibles, construite en deux mouvements à une époque où il était d’usage d’en avoir quatre ?

Alors que Huawei est sur la sellette dans plusieurs pays du monde, le défi revêtait un troublant caractère métaphorique.  Soupçonné d’espionnage en Europe et de violation de l’embargo contre l’Iran par les Etats-Unis , l’équipementier, qui est déjà quasiment banni du marché américain, pourrait connaître le même destin sur le Vieux Continent. La Commission européenne réfléchit à des mesures très restrictives et  l’association des opérateurs télécoms prévoit une réunion pour discuter du cas Huawei fin février.

Les deux premiers mouvements créent le suspense, les trombones résonneraient presque comme une menace. Schubert s’était arrêté là. Le travail de l’IA et de Lucas Cantor fut de proposer deux mouvements supplémentaires, faisant passer l’oeuvre d’environ 27 minutes à 48 minutes.

De l’Autriche à l’Amérique

L’orchestre reprend. Hésitation dans la salle. « Qu’est-ce que c’est ? » Ce n’est pas Schubert. « Ce qui m’a le plus surpris, c’est que [l’IA] proposait des mélodies qui étaient en avance sur son temps », indiquait plus tôt Lucas Cantor. Nous nous étions arrêtés dans les contrées escarpées et les clairières autrichiennes, et nous voici en Amérique. La flûte des Yankees appelle les spiccati des violons dans une drôle de chevauchée. « West Side Story » n’est pas loin. Un aspect saccadé fait apparaître les rouages de la machine en arrière-fond.

Le quatrième mouvement est la consécration d’Hollywood. Les musiciens du London Session Orchestra disent adieu à l’époque romantique, la douleur ne se cache plus derrière la joie. Tout juste un sombre horizon est-il regardé de manière désinvolte ; James Bond face à la mort, on croirait le refrain de « Goldfinger ». Dans le contexte géopolitique de l’événement, l’hommage se transformerait presque en provocation. Déjà, on sent bien que le film se terminera en happy end, avec cuivres et tambours.

Fin du quatrième mouvement

Les spectateurs sont laissés avec une question sans réponse : quelle fut la part des algorithmes ? Lucas Cantor n’a pas voulu répondre à la question. Le système d’intelligence artificielle est censé  pouvoir tourner sur un smartphone Mate 20 pro , après toutefois avoir été entraîné sur le cloud pour cette symphonie. Mais la façon dont le compositeur a procédé avec l’appareil n’était pas très claire : il recevait des suggestions de l’équipe technique qu’il retenait ou qu’il leur renvoyait si elles ne lui convenaient pas. L’API (interface de programmation) sera disponible sur le site developper.huawei.com pour les plus téméraires qui voudraient répéter l’expérience, pourquoi pas avec Beethoven.

Opération séduction

Cette opération séduction avait aussi pour but de mettre en avant l’utilisation  des puces NPU (« Neural Processing Units »), spécialement conçues pour l’apprentissage profond . Celles-là mêmes qui sont intégrées sur le Mate 20 pro et sur lesquelles les algorithmes musiciens ont tourné.

Huawei est aujourd’hui l’un des trois constructeurs mondiaux de smartphones. L’entreprise prévoit un chiffre d’affaires de plus de 108 millions d’euros en 2018, soit une croissance de 16 %. Mais son ascension en Europe pourrait être stoppée nette si Bruxelles met ses menaces à exécution.

Sans évoquer les problèmes de l’entreprise, le concert de Londres fut aussi l’occasion pour le président Europe, Walter Ji, de prendre la défense de sa société et d’insister sur sa volonté de « s’engager à long terme » sur le continent.

Par Remy Demichelis – Les Echos