L’ATIDE a suivi toutes les étapes du processus électoral, de la soumission des candidatures jusqu’à l’annonce des résultats préliminaires du second tour, et ce pour contribuer efficacement à la réalisation d’élections libres, transparentes et intègres, conditions nécessaires pour instaurer de réelles institutions démocratiques en Tunisie. L’ATIDE a présenté aujourd’hui, 26 décembre 2014 son rapport préliminaire d’observation du deuxième tour des élections présidentielles, comprenant des recommandations adressées à l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE).
Arsenal déployé par l’ATIDE
4555 observateurs accrédités par l’ISIE ont ainsi été déployés sur tout le territoire national ainsi que sur les six circonscriptions électorales à l’étranger. (555 observateurs à l’étranger ont été répartis sur 17 pays)
Initiative de ATIDE contre la violence et la division
Compte tenu du discours violent entre les candidats au cours du 1er tour et des manifestations qui ont suivi l’annonce des résultats, incitant au régionalisme et menaçant l’unité de notre peuple, l’ATIDE a lancé une campagne médiatique en vue de sensibiliser à la nécessité de rester attachés à l’unité nationale et de ne pas céder aux discours incitant à la division du peuple.
L‘ATIDE a par ailleurs lancé, à la suite du 1er tour, une initiative appelant toutes les parties à respecter les principes de la campagne électorale et à éviter toute manifestation de diabolisation et de discrimination. L’initiative s’est aussi adressée aux citoyens Tunisiens pour qu’ils se méfient des répercussions de la violence et qu’ils rejettent tous les appels et les incitations à la violence.
L’ATIDE renouvelle aujourd’hui son appel à faire preuve d’un esprit de compétition loyale et à ne pas céder aux appels à la violence et à la discrimination.
La relation ISIE – Société Civile
Le 17 Décembre, 2014, l’ISIE a transmis aux IRIEs une circulaire réglant certaines procédures, interdisant notamment la présence des représentants des candidats et des observateurs de la société civiles dans les centres de vote. L’ISIE n’a par ailleurs pas permis aux observateurs nationaux d’observer de manière satisfaisante le processus de collecte et de tri des résultats dans les centres de compilation du fait de leur éloignement des opérations.
Le rôle des observateurs s’est ainsi limité à l’observation dans les bureaux de vote sans pouvoir observer les éventuelles tentatives de manipulation ou d’’achat de voix au sein des centres de vote ni observer de manière minutieuse l’opération de collecte et de tri, afin d’écarter toute possibilité de manipulation des résultats.
Tout en dénonçant cette décision d’exclusion de la société civile, l’ATIDE s’interroge sur les raisons qui ont poussées l’ISIE à prendre une telle mesure. Si c’est pour des raisons organisationnelles, cela ne nous semble pas justifié, dans la mesure où l’ISIE pouvait jouer son rôle organisationnel sans pour autant exclure les organisations de la société civile et entraver leur observation, en vue de garantir la transparence de l’ensemble du processus électoral et d’éviter ainsi que la crédibilité des résultats puisse être mise en doute. Le maintien par l’ISIE de cette décision malgré la demande de son annulation formulée par l’ATIDE et des autres composantes de la société civile a eu un impact négatif sur l’intégrité du processus d’observation et son exhaustivité.
La Campagne électorale
L’ATIDE a veillé à être présente dans toutes les régions de la République en vue de suivre les diverses activités de campagne des candidats et d’assister à leurs réunions. L’ATIDE a noté une défaillance au niveau de la performance des contrôleurs de l’ISIE dans la mesure où dans de nombreux cas les candidats n’ont pas informé les IRIES de leurs activités ni reçu les autorisations nécessaires.
Dans l’ensemble, le déroulement de la campagne était inégal entre les deux candidats et d’une région à une autre ainsi qu’entre les candidats. L’ATIDE a tout particulièrement noté que les discours violents des deux candidats se sont poursuivis. Le 2ème tour n’a pas non plus été exempté d’infractions présumées liées aux dépenses de campagne et à une couverture médiatique inégale selon le média et le candidat. L’ATIDE a également observé d’autres dépassements relatifs à l’exploitation des enfants et des élèves et l’utilisation des lieux de culte à des fins de campagne électorale.
L’ATIDE a par ailleurs observé l’absence d’une campagne électorale à l’étranger malgré le nombre important d’électeurs dans les six circonscriptions de l’étranger.
Le silence électoral
L’ATIDE a relevé de nombreuses violations du silence électoral par les deux candidats, telles que le maintien des affiches et de la propagande dans de nombreux endroits et dans toutes les circonscriptions. L’ATIDE a également relevé pendant la période du silence électoral des inscriptions murales menaçant de recourir à la violence, allant jusqu’à des menaces d’incendie ainsi que des menaces directes à l’encontre des observateurs.
Le vote
L’ATIDE a enregistré une amélioration des prestations de l’ISIE, notamment au niveau de la logistique de l’administration électorale, telle qu’une meilleure formation des agents , l’ouverture à temps de la plupart des centres , la mise à disposition du matériel électoral, une rapidité d’intervention des agents en cas de problème, le remplacement d’un grand nombre d’agents des bureaux de vote
D’autre part, l’ATIDE a relevé en Tunisie et à l’étranger, plusieurs infractions catégorisées comme suit:
1. Violation du droit de vote
– Plusieurs électeurs n’ont pas pu exercer leur droit de vote en raison d’un problème au niveau du registre électoral
– Electeurs ayant voté au premier tour de l’élection présidentielle, mais qui ont été surpris de constater que leur nom a disparu du système informatique de l’ISIE
– Plusieurs doublons dans plusieurs listes d’électeurs à l’étranger
2. Violation de la liberté de vote
– Actes de propagande électorale à l’intérieur et autour des centres de vote et même à l’intérieur des bureaux de vote
– Actes d’influence des représentants des candidats sur les électeurs pour les inciter à voter pour leur candidat
– Acte d’influence sur les électeurs commis par des membres de bureaux de vote pour les inciter à voter pour l’un des candidats
– Poursuite d’actes de campagne par la distribution de dépliants devant les centres de vote
– Actes d’influence sur le reste de l’électorat par certains partisans
3. Violation de l’intégrité du processus électoral
L’atteinte à l’intégrité du processus électoral représente la forme la plus dangereuse de violations observées par l’ATIDE lors de l’élection présidentielle et ceci était une répercussion logique de l’atmosphère d’attaques mutuelles des campagnes des deux candidats qui allaient de violences verbales jusqu’au recours à la violence physique. L’ATIDE fait également état de pratiques pouvant porter sur des soupçons d’influence sur les électeurs.
4. Violation du secret de vote
L’ATIDE a relevé plusieurs irrégularités portant atteinte au principe du secret du vote:
– Isoloirs trop rapprochés, ne garantissant pas le secret du vote
– Isoloirs près des fenêtres
– Vote à l’extérieur de l’isoloir
– Bulletin de vote pris en photo à l’intérieur de l’isoloir
5. Violation du principe du vote personnel
L’ATIDE a relevé des cas illégaux d’accompagnement de personnes handicapées et cela suite à la non-vérification soit de la carte d’invalidité soit celle de l’identité de l’accompagnateur et du degré de parenté entre eux.
6. Violation du principe de transparence
L‘ATIDE a relevé une variété de pratiques portant atteinte au principe de transparence, aussi bien au cours du processus de vote qu’au cours du processus de tri, à savoir:
– Restrictions sur les observateurs à l’intérieur des bureaux de vote
– Empêchement des observateurs d’assurer leur tâche au centre de tri et de collecte
– Non concordance entre le nombre de signatures dans le registre et celui des bulletins sortis de l’urne
7. Infractions de nature organisationnelle
Malgré une nette amélioration de la prestation logistique de l’ISIE, l’ATIDE a tout de même relevé diverses infractions au niveau du travail des agents des bureaux et des centres de vote :
– Sortie de tous les agents du Bureau de vote, laissant les représentants des candidats dans le bureau
– Les agents du bureau de vote quittent le bureau de vote laissant un d’eux terminer le travail tout seul
– Non affichage des listes d’électeurs dans un certain nombre de centres de vote
– Certains représentants de candidats ne portaient pas de badges
– Constat de cas de possession de deux badges, l’un en tant que représentant de l’un des candidats et l’autre en tant qu’observateur de la société civile
– Des agents des bureaux de vote ne portaient pas de badges officiels mais plutôt des badges manuscrits
– Des bulletins de vote n’étaient pas tamponnés
– Permission de voter avec une carte d’identité étrangère
– Permission de voter avec la carte consulaire, le permis de conduire, la carte d’invalidité , une copie de la CIN, une carte d’adhésion à la CNSS, et dans certains cas sans même la présentation d’une pièce quelconque
– Non fermeture de la fente centrale de l’urne à la clôture du vote
– Manque de matériel électoral : nombre de bulletins inférieur au nombre d’électeurs inscrits
– Absence de tampon, absence de listes électorales, absence de signalisation du centre de vote
– Cas de non-encrage de doigts
Recommandations d’ATIDE
À la lumière de l’observation et du suivi des différentes étapes du processus électoral pour le second tour des élections présidentielles, l’ATIDE recommande ce qui suit:
1. Procéder à un audit du registre électoral.
2. Appliquer strictement les dispositions relatives au contrôle du financement de la campagne électorale.
3. Assurer un nombre suffisant de contrôleurs de l’ISIE afin de limiter le nombre de dépassements pendant la campagne électorale et la période du silence électoral.
4. Veillez à poursuivre les infractions de nature criminelle (la violence, l’achat de voix, la fraude …).
5. Publier tous les PV de réunions et les délibérations de L’ISIE au JORT comme stipulé comme le dispose la loi électorale.
6. L’ISIE est invitée à ne plus prendre des décisions qui porte atteinte à la transparence et l’intégrité de l’opération électorale notamment celles qui entravent le travail d’observation de la société civile.
7. Plus d’ouverture aux organisations de la société civile de la part de l’ISIE, pour que celle-ci tienne compte de leurs propositions et de leurs recommandations
8. Réviser la loi électorale et la loi de l’ISIE, pour en combler les lacunes.
9. Accentuer le rôle de sensibilisation et d’éducation de l’ISIE.
10. Enquête sur la neutralité de certaines associations accréditées pour l’observation des élections.
11. Porter une attention particulière aux litiges (délais, tribunaux, appels..)
12. Nécessité d’effectuer une évaluation globale du rendement de l’administration électorale et en tirer les conclusions.