Tunisie-Tribune (Tunisie Hub économique) – Faire de la Tunisie un « hub économique » est une ambition majeure qui stipule le développement de l’innovation en particulier dans le domaine des technologies de l’information et de la télécommunication (TIC), voire de l’intelligence artificielle.
« A cet égard, beaucoup d’efforts dans le domaine de la digitalisation ont été accomplis en Tunisie mais il reste également beaucoup à faire. »
La dernière déclaration du président de la Fédération nationale des TIC, Kaïs Sellemi, est révélatrice à maints égards. Ce dernier a fait savoir que « la pérennisation du développement des activités des startups nécessite tout d’abord l’existence d’un marché ». Autrement dit, « c’est bien de lever des fonds mais le business ne pourrait se développer qu’à la faveur d’un marché bien étudié ». Dans ce sillon, le président de la Fédération nationale des TIC a insisté sur la nécessité d’accélérer plusieurs projets tels que la «smart-Gov » et la transformation du système d’information de l’Etat, outre la « démocratisation » du paiement mobile et le besoin d’accompagnement et d’encadrement des startups.
Cette analyse de l’état des startups qui exercent en particulier dans le domaine du digital renvoie à la mise en œuvre du Plan national stratégique Tunisie digitale 2020. Ce Plan a en effet prévu toutes les conditions susceptibles de créer l’écosystème propice à la promotion de l’économie digitale en Tunisie.
La réalité, toutefois, est que si un nombre de projets prévus dans ce cadre ont démarré, d’autres stagnent encore, ce qui bride jusque-là la dynamique recherchée et l’ambition d’atteindre les objectifs de la stratégie 2020.
Créer et faire travailler durablement les startups technologiques est le défi majeur de la stratégie nationale de la digitalisation de l’économie nationale. Relever ce défi appelle des actions plus concrètes et rapides au rythme des évolutions technologiques elles-mêmes.
Stratégie digitale : un bilan en demi-teinte
La stratégie quinquennale «Tunisie digitale 2020» s’est fixé comme objectifs l’inclusion sociale et la réduction de la fracture numérique ( meilleur accès à l’information et à la connaissance, démocratisation des équipements d’accès, généralisation de l’accès haut débit et mise en œuvre du très haut débit), le renforcement de la culture numérique (généralisation de l’usage des TIC dans les cursus éducatifs et par la numérisation des contenus), l’évolution vers une e-Administration au service du citoyen, équitable, transparente, agile et efficace, la contribution à la création d’emplois dans les secteurs du numérique et de l’offshoring ainsi que la création de champions nationaux, le soutien de la création de la valeur ajoutée, gage de pérennisation des entreprises et des emplois, (accompagnement à l’entrepreneuriat et stimulation de l’innovation), l’amélioration de la compétitivité des entreprises (investissement dans les TIC et positionnement dans l’économie numérique), ainsi que le passage de la Tunisie dans le numérique (mise en place d’un cadre réglementaire, gouvernance et environnement sécuritaire adaptés).
La mise en œuvre de cette stratégie devrait permettre à la Tunisie de réaliser une valeur ajoutée additionnelle de 13.5 milliards de dinars en 2020 contre 4,15 milliards de dinars en 2015, d’atteindre 6 milliards de dinars d’exportation à la fin du quinquennat, de prendre la tête du peloton en Afrique dans l’Index NRI (NetworkedReadiness Index) de positionnement numérique, et de créer 25 mille emplois par an dans le numérique.
Faut-il signaler que l’investissement total prévu pour la réalisation de cette stratégie a été estimé à 5,5 milliards de dinars sur cinq ans à raison de 1/3 d’investissement public et 2/3 d’investissement privé.
Malheureusement, il n’y a pas jusque-là d’évaluation précise et chiffrée sur le bilan de la stratégie digitale 2020. Mais les informations divulguées par les autorités compétentes ainsi que les acteurs privés du domaine des TIC confirment l’idée que les avancées réalisées dans la mise en œuvre surtout des projets de l’économie digitale sont encore en deçà des attentes et ce, pour des considérations à la fois objectives et subjectives.
Lors du séminaire de réflexion sur la prochaine stratégie digitale 2020-2025 organisé au mois de juillet écoulé par le ministère des Technologies de la communication et de l’économie numérique, il a été précisé que l’exécution de la stratégie 2015-2020 s’est soldée par des succès portant sur la mise en service d’un réseau 4G couvrant plus de 90% de la population, l’avancement à grands pas de la connexion au haut débit des administrations, ministères, municipalités et écoles, la connexion des zones blanches au réseau mobile haut débit, l’élaboration d’un projet de code du numérique, et l’approbation du « startup act ».
En revanche, nombreux sont les projets dont le rythme d’avancement demeure faible voire nul, en l’occurrence la digitalisation du parcours de santé entre les différents acteurs (hôpitaux, cliniques, médecins, patients, pharmaciens, caisse assurance et mutuelles), la digitalisation du parcours du citoyen avec son administration (pièce d’identité, passeport, demande papiers, entrée et sortie du territoire, signature des contrats, accès aux prestations sociales, vignettes, impôts…),
la digitalisation du paiement par TPE ou par mobile et suppression du cash, et la connexion des objets de type compteurs (eau, électricité, gaz), signalisation dans les rues, etc.
Il paraît clairement de cet état que les projets publics censés toujours être l’instigateur et le vecteur d’entraînement de l’investissement privé accusent relativement un retard dans l’exécution. Ce qui pointe, dans une large mesure, la difficulté de mise en œuvre du plan d’action de la stratégie digitale.
L’engagement de toutes les parties prenantes et en premier lieu les acteurs publics, est une condition sine qua non à la réussite de la stratégie nationale.
Ce qui reste à faire
Le rôle, voire la responsabilité de l’Etat, est essentiel dans la promotion de l’économie numérique. Cette responsabilité est double. Il s’agit en fait d’inscrire les moyens financiers nécessaires pour la mise ne œuvre des projets d’investissements publics dans le domaine des TIC d’une part, et de persévérer dans l’aménagement de l’environnement approprié au développement des startups technologiques.
Pour ce qui est de l’activation des projets publics de digitalisation, la stratégie de l’administration électronique (E-Gov) ou plutôt de l’administration intelligente 2020, devrait se poursuivre sans à-coups et se concrétiser à pas sûrs et réguliers aux fins d’efficacité des services publics rendus aux citoyens et aux entreprises. Les budgets annuels alloués aux différentes structures publiques pour l’achat des équipements et de logiciels et leurs entretiens devraient être à la hauteur des objectifs stratégiques retenus. C’est vrai que les besoins des administrations publiques au double plan, central mais surtout régional, sont considérables et que les contraintes budgétaires ne sont pas des moindres, mais il importe de franchir le cap de la digitalisation en veillant à la priorisation des investissements publics.
- Le secteur public est appelé à rattraper son retard par rapport au secteur privé pour réussir la transformation digitale dans le pays.
La digitalisation de l’Administration est également une affaire de mentalité. Ce qui demande une volonté, persévérance et sensibilisation continue des agents publics pour que l’adaptation au monde dématérialisé soit rapide et effective.
En ce qui concerne l’aménagement de l’écosystème entrepreneurial, l’Etat devrait persévérer dans la résolution de tous les handicaps qui guettent le développement des startups technologiques. Il est question de mettre en œuvre toutes les décisions du Conseil supérieur de l’économie numérique. L’action de l’Etat devrait être tripartite : favoriser la mobilisation du capital, développer le savoir-faire et inciter à la « rébellion » en matière d’innovation technologique.
La promotion du capital risque via les fonds d’investissement publics et les primes d’incitation à l’innovation en premier lieu et l’encouragement à l’activité du capital investissement domestique et étranger en deuxième lieu, est la première condition à satisfaire pour créer une économie entrepreneuriale. L’approbation par le Parlement du projet de loi sur le code du capital investissement déposé depuis 2017 est de mise. La mise en œuvre du plan d’action national « decashing » doit également insuffler une nouvelle dynamique à la digitalisation de l’économie nationale.
Le renforcement du savoir-faire à travers la formation de base des ingénieurs, développeurs, designers, vendeurs… l’insertion professionnelle des jeunes diplômés, l’accompagnement, l’encadrement des jeunes entrepreneurs, est la deuxième condition indispensable à l’amorçage et à la croissance des startups. Dans ce sillon, la réforme du système d’enseignement supérieur, l’efficacité des structures publiques d’appui à l’entrepreneuriat, le partenariat public-privé sont des facteurs clés au développement des compétences capables de s’engager dans le monde des entreprises technologiques.
La création de la « rébellion » est la troisième condition de l’économie entrepreneuriale. A l’évidence, les startups technologiques sont basées sur l’innovation, la créativité et l’engouement au risque. En Tunisie, il y a beaucoup de génies et talents qui méritent considération et soutien spécifique. Tout manque d’intérêt à cette classe de jeunes surqualifiés et pleins d’énergie et de volonté risque de les perdre et précipite leur défection à la quête d’autres cieux plus accueillants et généreux. La création de marchés suffisamment solvables localement et l’ouverture à l’extérieur notamment en Afrique, sont de nature à encourager à l’activisme et à la création.
La Tunisie a plus que jamais besoin de retenir ses jeunes et futurs entrepreneurs qui sont capables de donner des créations exceptionnelles et des engagements à toute épreuve. Parce que de ces jeunes dépendra le modèle de l’économie entrepreneuriale auquel on aspire.
Le capital existe mais il n’est pas orienté vers les projets innovants et à haute valeur technologique, ce qui laisse toujours notre économie, une économie de rente. Le savoir-faire existe aussi mais faute de moyens et d’encouragements, notre économie demeure une économie de sous-traitance.
La rébellion seule existe également mais par manque d’écosystème favorable, nos entreprises demeurent de petite taille, pas des empires industriels. Savoir-faire et rébellion font seulement une économie de projets sans lendemain. La rébellion associée au capital fait une économie financière.
L’économie entrepreneuriale que nous cherchons devrait associer capital, savoir-faire et rébellion. Seulement, ce modèle est susceptible de relever les défis de l’emploi, la création de valeur et la croissance.
- L’œuvre n’est pas facile certes, mais on n’a pas non plus les choix. Assurément, la responsabilité de l’Etat est manifeste et indispensable pour donner le ton et porter le modèle de l’économie entrepreneuriale, mais le secteur privé financier et réel devrait jouer aussi son rôle et rompre avec la culture de la « rente ».
Lancer et développer sa start-up en Tunisie devrait être particulièrement simple grâce à l’effectivité des structures d’accompagnement et la célérité de financement. Tel est le principe de base qui devrait guider toute la logique transformative en la matière. Gagner le pari du digital en Tunisie appelle la persévérance, l’engagement de tous et surtout l’action.
Source : Alaya Becheikh / Réalités