À Berlin et sous l’égide des Nations unies, la conférence sur la Libye démarre avec plusieurs points d’interrogations sensés consolider un fragile cessez-le-feu

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Tunisie-Tribune (À Berlin – la conférence sur la Libye) – Le chef du Gouvernement d’union nationale (GNA), Fayez al-Sarraj, le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’Est libyen, et les principaux acteurs internationaux de la crise en Libye seront réunis dimanche à Berlin pour tenter de mettre fin à un conflit qui ravage le pays depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Objectif principal : consolider le cessez-le-feu.

  • Rappelons que suite à une gestion hasardeuse du dossier, la Tunisie, pays limitrophe et particulièrement impliquée au niveau des conséquences de ce conflit, ne participe pas à cette conférence.
  • invitée en dernière minute, après campagne de sensibilisation toute aussi hasardeuse, la diplomatie tunisienne refusa d’y être.
C’est une étape majeure avant d’envisager un processus de paix. La conférence internationale organisée dimanche à l’initiative de Berlin va réunir tous les acteurs majeurs du conflit libyen, avec l’espoir dans un premier temps de renforcer la fragile trêve respectée sur le terrain depuis une semaine. Signe des difficultés à surmonter, le maréchal Khalifa Haftar avait quitté la Russie le 14 janvier sans signer l’accord de cessez-le-feu concocté par Moscou et Ankara, pourtant paraphé par son rival Fayez al-Sarraj. Les sept heures de négociations s’étaient déroulées à travers des intermédiaires russes et turcs, les deux hommes refusant de communiquer directement.

La réunion doit aussi empêcher l’internationalisation du conflit, notamment par un soutien militaire, et évoquer des pistes pour sortir le pays plongé dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Décryptage avec Emmanuelle Chaze, correspondante de France 24 dans la capitale allemande, et Jalel Harchaoui, chercheur au Clingendael Institute.

Qui est attendu à Berlin ?

« Cette conférence est prévue depuis l’été dernier, explique Emmanuelle Chaze. C’est déjà en soi un succès pour le gouvernement allemand. Le tour de force d’Angela Merkel, c’est de réunir tant d’acteurs présents sur le terrain libyen au même endroit. » Les chefs des deux factions rivales en Libye seront présents : Fayez al-Sarraj, à la tête du Gouvernement d’union nationale (GNA) à Tripoli soutenu par les Nations unies et l’Union européenne, et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est du pays, à la tête de l’autoproclamée Armée nationale libyenne.

Les deux parrains de la trêve actuelle, la Russie et la Turquie, qui se sont imposées ces dernières semaines comme des acteurs clés du conflit malgré leurs intérêts divergents, seront représentées au plus haut niveau avec les présidents Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan.

Le chef de l’État français, Emmanuel Macron, participera également à la conférence, tout comme le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, et son émissaire pour le dossier libyen, Ghassan Salamé. « Pour tous ces acteurs, la priorité dimanche sera d’entamer un processus diplomatique, de permettre à tous de communiquer directement. »

Quel est l’objectif de la réunion ?

Le cessez-le-feu orchestré par Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, mis en place le 12 janvier, est pour l’instant respecté mais fragile. La conférence internationale de Berlin vise principalement à consolider la trêve et à empêcher l’internationalisation du conflit, en interposant notamment une force militaire. « La priorité à Berlin est d’abord la cessation des hostilités, un cessez-le-feu, explique sur France 24 Jalel Harchaoui. Dans la feuille de route qui sera sans aucun doute signée par les deux protagonistes, il y aura des éléments qui relèvent de la réconciliation et d’une solution politique, avec des mesures institutionnelles, comme le fait d’unifier une armée nationale. » Mais, souligne le chercheur, « il n’y a pas réellement de réconciliation possible dans le court terme. (…) Si l’initiative allemande parvient à solidifier ce cessez-le-feu, ce sera une forme de victoire pour la diplomatie allemande et européenne. »

Que se passe-t-il sur le terrain ?

Les forces du maréchal Haftar ont lancé en avril 2019 une offensive pour tenter de s’emparer de Tripoli. En neuf mois, plus de 280 civils et 2 000 combattants ont été tués, selon l’ONU. Quelque 146 000 Libyens ont par ailleurs dû fuir les combats.

« L’objectif affiché et explicite du maréchal Haftar est de prendre le centre-ville de Tripoli, précise Jalel Harchaoui. Quand on regarde une carte de Libye, il contrôle environ 85 % du territoire. Le problème, c’est que la zone qu’il n’arrive pas à pénétrer comporte 45 % de la population. Soit vous regardez la surface géographique et vous avez l’impression que le maréchal Haftar est près de la ligne d’arrivée. Ou alors vous regardez la réalité de cette guerre urbaine qui a commencé le 4 avril et qui est soutenue par de nombreux États : ces États soutiennent un poulain qui n’arrive pas à pénétrer une zone démographique gigantesque. »


Quels sont les enjeux du conflit ?

« La principale raison du conflit n’est pas le pétrole, estime Jalel Harchaoui. Les vraies raisons sont d’abord de nature idéologique. Le pays est tellement petit démographiquement, tellement riche et bien situé géographiquement que toute idéologie qui réussirait si la paix surgit fournira un modèle pour le reste de la région. C’est pour ça que des acteurs extrêmement disciplinés, têtus voire entêtés comme les Émirats arabes unis, sont impliqués en Libye. Ils n’ont pas besoin du pétrole libyen. En revanche, ils sont très soucieux du modèle politique qui risque d’émerger à Tripoli. Ça, c’est très idéologique. »Pourquoi l’UE est-elle autant impliquée ?

« Pour l’Union européenne, il y a un enjeu de taille : celui des mouvements migratoires, explique Emmanuelle Chaze. La Libye est l’une des portes d’entrées vers l’Europe pour les migrants. Comme l’Allemagne est l’un des pays qui reçoit le plus de réfugiés en Europe et qui contribue financièrement le plus en Libye sur ces questions migratoires, elle a tout intérêt à se faire entendre. »