Tunisie-Tribune (Éducation sexuelle) – La Tunisie a annoncé fin 2019 la mise en place d’un programme d' »éducation à la santé sexuelle » mis en place dès l’école primaire. Un enseignement préventif et innovant dans le monde arabe mais qui peine à se mettre en place.
Instaurer l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires est rarement une mince affaire. Mais après avoir mûri le projet depuis plusieurs années, la Tunisie a annoncé fin 2019 l’introduction de « l’éducation à la santé sexuelle » dès l’école primaire. Une première dans le monde arabe.
Après plusieurs années d’études, d’expertises, de sondages du nord au sud du pays, ce sont finalement des révélations sur des cas de violences sexuelles et de harcèlement qui ont déclenché la mise en place du programme. L’affaire d’un enseignant pédophile, qui a agressé et violé 20 enfants dans un village près de Sfax en mars 2019, a servi d’électrochoc.
Dans la foulée, le ministre de l’Éducation Hatem Ben Salem a souligné la nécessité de sensibiliser les enfants et promis d’introduire des cours d’éducation sexuelle à l’école. Ils devaient commencer dès janvier 2020. Dans les faits, il semblerait qu’il faille attendre encore un peu avant que les jeunes Tunisiens aient accès, dès l’âge de 5 ans, à cette « éducation sexuelle complète« . « On est dans la finalisation du document avant le lancement de la phase expérimentale dans 13 régions », déclare à France 24 Elhem Barboura, inspectrice générale au ministère de l’Éducation, qui pilote le projet.
Projet en « stand-by »
Interrogé sur les raisons de cette mise en œuvre tardive, des consultants ayant participé à l’élaboration du projet évoquent un problème de formateurs. « Tout est prêt : les référentiels sont rédigés, les outils pédagogiques imprimés, les objectifs sont définis. Mais maintenant il faut trouver les bons formateurs« , admet Ines Derbel, vice-présidente à Tunis de la Société tunisienne de sexologie clinique et consultante référente du programme depuis cinq ans.
Le problème est également politique. La Tunisie traverse une nouvelle période d’instabilité qui pourrait mettre le programme en péril. Après le rejet début janvier d’un premier cabinet, un nouveau Premier ministre vient d’être nommé. À sa charge de négocier avec les forces du pays pour former un nouveau gouvernement, une mission qui s’annonce difficile dans un paysage politique morcelé.
« On ne sait pas si le ministre de l’Éducation actuel va être maintenu et c’est lui qui porte le projet sur l’éducation sexuelle depuis le début. Pour l’instant, tout est en stand-by« , admet Ines Derbel qui espère que les cours seront dispensés au plus tard à la rentrée 2020.
S’adapter à la société tunisienne
Ce n’est pas le premier obstacle que ce projet ambitieux aura rencontré. « Pour un changement comme ça, il faut du temps », assure Ines Derbel. Considéré comme une nécessité par ses défenseurs, il leur aura fallu convaincre.
Convaincre les politiques. En janvier 2018, c’est une députée d’Ennahda, le parti islamiste tunisien, qui a porté le projet devant le Parlement tunisien. Dans une allocution très remarquée, Yamina Zoghlami avait déclaré : « Il y a de jeunes Tunisiens qui considèrent que le corps est haram [interdit dans l’islam]. Le ministère de l’Éducation est très en retard sur ce sujet, il faut inculquer aux jeunes une éducation sexuelle scientifique pour qu’ils puissent se protéger et protéger les autres. »
Convaincre les parents, aussi, quand les études sociologiques montrent que la question sexuelle reste taboue et difficilement abordée dans les familles. Convaincre les religieux enfin, plus influents depuis la révolution de 2011. « Cela fait quatre à cinq ans que nous consultons les Tunisiens, du nord au sud du pays, qu’on forme les imams, qu’on parle aux parents, aux enfants pour voir quels sont les besoins et les demandes, et les adapter à la société tunisienne« , détaille la sexologue.
Parmi les « adaptations » qu’il aura fallu faire : éviter les sujets polémiques, comme l’orientation sexuelle – l’homosexualité est toujours taboue en Tunisie et les relations anales restent interdites par la loi. Il a aussi fallu changer l’intitulé de la matière : l’éducation sexuelle est devenue « éducation à la santé sexuelle« . »Dans un premier temps, on ne voulait pas choquer pour que le programme ne soit pas rejeté« , explique Ines Derbel.
L’éducation ne sera d’ailleurs pas une matière en soi, mais distillée dans des cours d’arabe, d’éducation physique, et de sciences de la vie et de la Terre (SVT). Il s’agit donc moins d’un cours « d’éducation sexuelle« , qu’un apprentissage du corps, des différences biologiques entre les sexes et d’une initiation aux droits des enfants, adaptée à chaque tranche d’âge. De 5 à 8 ans, les enfants vont étudier la notion d’intimité et d’interdits (qui a le droit de toucher ou non le corps d’un enfant). Les 8-12 ans et 12-15 ans seront, quant à eux, sensibilisés à la puberté et aux changements du corps.
Des jeunes « qui veulent tout essayer »
« Toute une partie du programme est axée sur la protection. Apprendre à mieux se protéger [des agressions], à dire non, à se respecter et fournir une éducation sexuelle complète« , explique le sexologue Karim Cherif, qui a participé à l’élaboration du programme. « On a une génération de jeunes qui n’a pas peur et qui veut tout essayer. Notre rôle est de leur donner des armes pour qu’ils aient une sexualité épanouie et responsable », poursuite le sexologue.
Quid des sujets plus « techniques » comme les MST, la contraception ou les grossesses non désirées dans ce pays où les IVG – légales pour toutes les femmes depuis 1973 – explosent et où la vie sexuelle est plus précoce, selon les observateurs ?
« Ces sujets pourront être abordés pour les élèves les plus âgés. Mais surtout, ils sont déjà enseignés au lycée en Tunisie !« , rappelle Karim Cherif. En dehors de l’école, la société civile est déjà très mobilisée. Des ateliers abordant les risques sexuels sont proposés aux jeunes depuis les années 1990. « On propose depuis des années des séances d’éducation sur le comportement à risque, les grossesses non désirées, la prévention contre les MST« , confirme à France 24 l’Office national pour la famille et la population (ONFP).
Mais ces ateliers touchent plus facilement les jeunes des grandes villes. « En intégrant le programme scolaire, l’éducation sexuelle sera accessible à tous, du nord au sud [plus traditionnel], sans disparité socio-culturelle. Elle sera systématisée et pluridisciplinaire », poursuit Karim Chérif. Quand elle sera enseignée.
Avec France 24